Mais à quoi pensent les organisateurs
de concerts ? Proposer une symphonie de Mozart en première partie
de L'enfant et les sortilèges, c'est un peu comme servir
une crème fouettée avec un boeuf bourguignon. Le gourmet
se révolterait, le mélomane n'en fait pas moins. Sans compter
qu'avec le changement de chef d'orchestre, Bernard Haitink contre Oleg
Caetani, la soirée vire au jeu du loto. La 41 initialement prévue,
est remplacée par la 35. Et la super cagnotte, qui l'empoche ? Pas
le public assurément. On enseigne aujourd'hui le respect à
l'école, ne faudrait-il pas aussi le rappeler aux directeurs de
théâtre ?
Dans ces conditions, l'esprit n'est
pas à la fantaisie, fût-elle lyrique. On manifeste sa grogne
en boycottant l'Haffner et on se faufile à sa place après
l'entracte. Là, on vérifie dans le programme qu'il n'y a
pas de nouvelle défection et on se pourléche les babines
en relisant la distribution. Il faut dire que trois générations
des meilleurs chanteurs ont été réunies pour interpréter
une des oeuvres les plus délicieuses du répertoire français.
Sa courte durée (45 minutes environ) n'est pas en rapport avec le
nombre de musiciens qu'elle requiert : 31 rôles répartis entre
un choeur mixte, un choeur d'enfants et 8 solistes auxquels s'ajoutent
l'orchestre au grand complet et une dizaine d'instruments à percussion
(crécelle, wood-block, eoliphone, crotales...). La vaste scène
du Théâtre des Champs-Élysées y suffit à
peine. La règle de la version de concert est connue, l'absence de
mise en scène se doit d'être compensée par une exécution
musicale irréprochable.
Et dès le début, on est
loin du compte. Ravel l'a pourtant écrit : "c'est le chant qui domine
ici, l'orchestre reste au second plan". Oleg Caetani ne l'entend pas de
cette oreille et s'applique constamment à dresser un mur de sons
qu'aucun des solistes ne parviendra à franchir. Qui sont-ils ? Que
disent-ils ? Je défie celui qui ne connaît pas sa Colette
sur le bout des doigts de le deviner.
Dans ces conditions, il est difficile
de porter un jugement sur les chanteurs. Même Papy Sénéchal
ne parvient pas à faire de la résistance. Il nous l'a prouvé
par le passé, son arithmétique claironne, sa théière
balance crânement, sa rainette est soeur de son excellente Platée.
Ici, Ils paraissent bien discrets. Comment Sara Mingardo pourrait-elle
se démarquer, elle dont la voix se distingue plus par le timbre
que par l'éclat ? Sa tasse chinoise et son écureuil passent
inaperçus. De l'enfant d'Hélène Hébrard n'émerge
que le joli minois. Stéphane Degout semble aussi mal à l'aise
en horloge comtoise qu'en chat énamouré. Laurent Naouri,
droit comme l'arbre qu'il interprète, clame sa douleur. On le comprend,
mais au sens figuré seulement. Sophie Marin-Degor et Isabelle Cals
sont logées à même enseigne. Désirée
Rancatore est sauvée par les coloratures que lui réserve
la partition. Son feu n'enflamme pas la salle, mais durant quelques mesures,
son rossignol fait décoller la soirée.
Le choeur et la maîtrise de Radio
France sont loin, loin au fond de la scène et leurs interventions
sont brèves. Reste alors l'orchestre. Parlons en puisqu'on n'entend
que lui. Dès les premières notes, les hautbois donnent le
ton et la couleur : acide et vert. Oleg Caetani a beau avoir le geste large
et élégant, il ne parvient pas à unifier la pâte
orchestrale. Les instruments ne fusionnent pas. La mélodie étouffe
et meurt sans avoir pu se déployer. Tel est le prix, sans doute,
du changement inopiné de directeur musical, de son manque de familiarité
avec un orchestre et un répertoire, d'un nombre insuffisant de répétitions...
Au final, le public applaudit mollement.
Pas plus de deux rappels. L'oeuvre est merveilleuse pourtant, mais la magie
n'opère pas. Malgré Ravel l'enchanteur. Malgré la
fée Colette...
Christophe RIZOUD
Pour
en savoir plus sur l'oeuvre lyrique de Ravel, lire notre dossier consacré
Ravel http://www.forumopera.com/dossiers/ravel-sommaire.htm