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PARIS
09/06/2007
Guillemette Laurens © DR
Jean-Féry Rebel (1666-1747)
ULYSSE
Tragédie
lyrique en cinq actes, représentée à
l’Académie royale de Musique le 23 janvier 1703
Livret d'Henry Guichard
Bertrand Chuberre Ulysse
Guillemette Laurens Circé
Stéphanie Révidat Pénélope
Howard Crook Orphée, Euriloque
Bernard Deletré Urilas
La Simphonie du Marais
Hugo Reyne direction
9 juin 2007, Cité de la Musique,
Paris, Version de concert
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Soyons tous Rebel !
Après un premier concert
un peu décevant, le second volet du cycle Ulysse de la
Cité de la Musique a été tout simplement sublime.
A l’issue d’une représentation aussi
mémorable, l’on aurait envie de n’écrire
qu’un seul mot : Bravo ! Bravo à Hugo Reyne qui
a dû rechercher les parties manquantes de la partition à
Uppsala, bravo à sa direction joviale et gonflée à
bloc, bravo à des solistes totalement impliqués dans
l’entreprise et à Guillemette Laurens, superlative.
Mais reprenons. Au commencement était le beau-frère de
Michel-Richard Delalande, Jean-Fery Rebel. Célèbre
violoniste, compositeur de symphonies chorégraphiques novatrices
par l’usage de dissonances tels les Eléments,
Rebel s’est essayé une seule fois à la
tragédie lyrique où planait encore l’ombre
imposante du grand Lully dont les farouches partisans passaient leur
temps à monter des cabales contres ses impudents successeurs. Ulysse
sera un aller sans retour. L’unique représentation sera
interrompue par les sifflets du public et l’œuvre dormira
dans un oubli immérité jusqu’à sa
résurrection par Anssi Mattila à Helsinki en août
2000. Toutefois, c’est bien à une quasi première
mondiale que nous avons assisté hier.
Le livret d’Henri Guichard d’Hérapines, s’il
ne rivalise pas avec la grâce de Quinault, accumule les
contrastes de climats, et prodigue toutes les opportunités pour
de grandes scènes visuelles : enfers, tempête, bataille,
tremblement de terre, ainsi que moult divertissements :
Génies, Démons, Tritons, Nymphes, Vents souterrains,
Vents de l'air, Guerriers et Guerrières. N’en jetez plus,
la cour est pleine ! De façon plus surprenante,
l’intrigue n’a que peu à voir avec l’Odyssée
homérique (elle s’inspire très vaguement du chant X
à XII) et se concentre sur le personnage de Circé,
magicienne et amante rejetée par Ulysse, qui tente de la
reconquérir ; ce qui rappelle fortement l’Armide
de Lully. D’ailleurs, à dire vrai, Pénélope
et Ulysse deviennent presque des personnages accessoires.
Musicalement, Ulysse est en
avance sur son temps par l’usage intensif de l’orchestre et
des récitatifs accompagnés, l’abondance de ses
danses, ses chœurs pré ramistes comme
« Brillant soleil, flambeau du monde », le jeu
sur les timbres et l’usage à géométrie
variable de l’orchestre avec des combinaisons très
intéressantes de continuo et flûtes par exemple. La fragmentation du propos et la place des cordes est plus proche du Scylla & Glaucus de Leclair (1746), que des amples pages suggestives de Lully, Marais, voire Rameau.
Les formalités musicologiques étant satisfaites, que
faut-il penser de cet Ulysse hué, enterré,
dépecé par la haine des hommes et la poussière des
siècles ?
L’équipe de solistes est d’un excellent niveau, et
interagit de manière complice avec une belle intelligence
dramatique. On distinguera particulièrement Guillemette Laurens
à qui échoit le difficile rôle de Circé et
ses magnifiques récitatifs accompagnés. Ainsi, son
imprécation maléfique « Que tout tremble
à ma voix » n’est pas sans rappeler la
Médée de Charpentier (« Qu’il le cherche
mais qu’il me craigne ») et annonce la Circé du
Scylla et Glaucus
de Leclair (« Noires divinités »). Avec
une fougue digne de Rachel Yakar, et en dépit d’aigus un
peu durs, la mezzo soprano a campé avec vraisemblance le
personnage complexe d’une puissante magicienne, amante
fière et passionnée, et finalement femme
abandonnée et perdue. Dans « Démons, accourrez
à mes vœux », sa rage est soulignée par
une basse continue déréglée directement
inspirée de la scène de folie du Roland
de Lully. L’œuvre se conclut d’ailleurs sur un
ultime récitatif de cette nature attachante et indomptable. On
sent que Rebel préféra Circé à Ulysse comme
Mozart regardera avec tendresse Dom Juan pour mépriser le lisse
et vertueux Don Ottavio.
Don Ottavio, pardon Ulysse, est confié non à un
haute-contre héroïque mais à une basse-taille :
Bertrand Chuberre laisse admirer son timbre résonnant et chaud,
la beauté de sa déclamation et de ses phrasés,
nimbée d’un vibratello
fragile. Le chant est beau, même si le personnage demeure fade en
raison du livret. En guise de dulcinée, Stéphanie Revidat
a dessiné une sensible et aimante Pénélope avec
une élégance sans faille, accumulant les nuances,
évitant les excès, usant avec à propos de sa
capacité de projection dans les grands moments
d’émotion. On distinguera ainsi ses tirades
« Terre d’Ithaque, avec toi sous mes pas »
et surtout « Destin trop rigoureux, ô ciel
inexorable ».
L’on passera plus rapidement sur Howard Crook, l’un des
grands spécialistes de la tessiture de haute-contre à la
française depuis près de 20 ans. Hélas, si la
noblesse et la musicalité du phrasé sont toujours
là, les aigus fatigués et les changements de registre
douloureux et apparents en font un Orphée brisé.
Côté chœur, la masse puissante et homogène
des Chœurs du Marais s’est régalée dans les
grandes pages glorieuses proches du grand motet « Belle
Circé, brillant soleil », et dans une épique
bataille où les deux chœurs se répondent (encore un
hommage à Lully, Alceste cette fois-ci) sur fond de martiales trompettes et timbales.
Enfin, l’orchestre : l’on connaissait la Simphonie du
Marais pompeuse (au sens classique du terme), mais un peu
embourbée au disque et parfois étriquée. Il
n’en fut rien. Dopée par la direction nerveuse
d’Hugo Reyne en forme olympique, l’ouverture, les
ritournelles et symphonies ont été
interprétées avec vigueur et sans précipitation.
Seul l’usage intempestif d’envahissantes castagnettes pour
l’une des danses était à déplorer, tandis
que la variété des percussions était la bienvenue
(tambours, tonnerre, timbales…). Le continuo
était coloré grâce au couplage d’une basse de
viole avec un violoncelle ; un second théorbe aurait
peut-être été envisageable. Les bois étaient
grainés, les flûtes coulantes, les cordes suggestives
même si les attaques manquaient légèrement de
précision, les trompettes rutilantes (elles ont eu le droit de
rappeler le public après l’entracte par une fanfare, avant
qu’Hugo Reyne n’annonce
facétieusement : « Ulysse, le
retour !»).
Après un tel succès planétaire, confirmé
par un public en délire, il ne fait aucun doute que Rebel est un
grand compositeur d’opéra, et qu’il est grand temps
de lever la malédiction dont il est victime par la parution
d’un disque désormais indispensable.
Viet-Linh NGUYEN
PS
1 : Une question toutefois, il semblerait que Hugo Reyne ait
pratiqué quelques coupes sur le Prologue à la gloire du
Roi, inhabituellement court, et sans reprise de l’ouverture. Si
c’est le cas, un traitement de choc à base de visites de
Versailles s’impose pour éviter la propagation d’une
épidémie de Niquetite aigue (syndrome du nom
d’Hervé Niquet, grand musicien mais assassin
recherché de prologues).
PS 2 : On notera avec intérêt le clin d’œil renversé à l’Armide
de Lully au cinquième acte dans le récitatif
« Mais qui retient mon bras, qui rend ma vengeance
impuissante » où Circé s’apprête
à occire Télémaque et est retenue par Minerve
(dans Armide, la magicienne
hésite à frapper son ennemi Renaud dans le fameux
« Frappons, ciel, qui peur
m’arrêter » et y renonce au nom de
l’amour).
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