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LIEGE
05/12/02
Louis Langrée
Mozart, Musique
funèbre maçonnique
[ou Ode funèbre
maçonnique] en do mineur K 477 [1785]
Rachmaninov, L'Île
des Morts
op. 29 [1909]
Mozart, Requiem en
ré mineur K 626
[1791]
[ Version de Franz Beyer,
1971]
Laure Delcampe, soprano
Sara Mingardo, contralto
Werner Güra, ténor
David Wilson-Johnson, basse
Choeur symphonique de Namur
(Denis Menier, chef de choeur)
Orchestre Philharmonique
de Liège
Louis Langrée,
direction
Salle Philharmonique de Liège
- 5 décembre 2002
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Voilà,
a
priori, un programme impeccablement construit et d'une harmonie funeste
; or tout le génie de Louis Langrée est d'avoir su dépasser
les apparences et le sens commun pour en révéler l'unité
profonde, autrement subtile, cet élan vital qui traverse des musiques
enténébrées et nargue la Mort : l'horizon dégagé
et serein sur lequel se referme (si peu) l'ode maçonnique ; la réminiscence
exaltée des plaisirs et des joies de l'existence (l'Espressivo
de L'Île des Morts) et ces flux d'énergie, ces éclats
de lumière qui irradient et innervent le Requiem.
Ennemi de l'emphase et des
effets, Louis Langrée impose sa vision, originale, alerte et dense,
et d'une exceptionnelle cohérence. Il opte pour des tempi
plus rapides qu'à l'ordinaire et aborde l'oeuvre avec un sens exceptionnel
du rythme, une intelligence aiguë du discours musical, un mélange
de rigueur et d'élégance qui délivrent le chef-d'oeuvre
de toute pesanteur, de toute redondance et lui restitue sa vigueur originelle
: le Dies Irae et le Rex Tremendae retrouvent un impact,
une fulgurance irrésistibles ; le Lacrimosa n'a jamais été
aussi sobre, juste et d'autant plus incandescent. En même temps,
l'hédonisme vocal de Mozart s'épanouit avec une sensualité
et une délicatesse rares : Recordare, superbe de naturel,
Agnus
Dei tout en nuances et murmures, mais sans aucune mièvrerie.
Évidemment, toute lecture personnelle prend le risque de diviser,
de décevoir : un tempo trop vif me semble amoindrir la solennité
du Sanctus (adagio initial) et, dans le Tuba Mirum,
un quatuor qui privilégie la beauté du son à l'expression,
peine à évoquer l'angoisse des morts à l'approche
du Jugement dernier...
Si les solistes, dotés
de voix légères, mais fins musiciens, épousent idéalement
le propos du chef (à l'exception de la basse, égarée),
en revanche, un choeur mieux proportionné et plus précis
aurait avantageusement remplacé celui de Namur, honorable, impliqué,
mais écrasant et parfois approximatif. Par contre, rien ne vient
entacher l'exécution, magistrale, du poème symphonique de
Rachmaninov. Là encore, Louis Langrée fait entendre sa différence
: L'Île des Morts se révèle d'une beauté
sidérante, nettement plus riche et complexe qu'une écoute
superficielle, avide de contrastes et d'idées simples ne le laisserait
croire. L'épisode central ne culmine pas sur une apothéose
; non, il y a quelque chose de forcené, de douloureux dans son lyrisme,
une insistance où sourd l'angoisse. Les pages oniriques et indécises
du Largo final prennent un relief encore plus troublant, évanescentes,
mais insidieuses et pénétrantes.
Finalement, la seule concession
au pathos, il faut la chercher ailleurs : dans le ton grave et les mots
choisis dont use Louis Langrée pour expliquer qu'aucun bis
n'est possible après un requiem, sauf, peut-être, la dernière
phrase que Mozart a écrite "avant de ne plus pouvoir écrire"...
mais que ne donnerait-on pour réentendre les huit mesures, essentielles,
inaltérables du Lacrimosa ?
Bernard Schreuders
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