Salle comble (malgré des prix
astronomiques) pour cet unique concert de l'Orchestre du Mai Musical Florentin
sous la baguette de son chef attitré, Zubin Mehta. Sur la papier
(et pas seulement ( !) comme nous l'allons voir), la distribution vocale
de ce Requiem n'est pourtant pas des plus brillantes, mais la notoriété
de ce chef (à défaut de celle de l'orchestre) aura suffi
à attirer les foules. Cela nous laisse songeur quand on voit que
d'excellents spectacles récents n'ont pu remplir ce théâtre
et lorsqu'on pense aux rares réussites de Mehta dans le domaine
lyrique.
A défaut d'être véritablement
émouvante, Barbara Frittoli est un miracle de beau chant : maîtrisant
parfaitement la couverture des sons, la coloration de la voix, les piani(1)
et les trilles, la soprano utilise magnifiquement toute la palette de son
art pour nous offrir une performance envoûtante (à l'image
de sa plastique !).
Luciana D'Intino n'atteint pas les
mêmes sommets ; il faut dire que nous sommes loin du grand mezzo
: aigus un peu clairs de contraltino, graves artificiellement grossis
; à l'exception du "Libera me Domine", superbe, l'ensemble est simplement
honnête.
Vincenzo La Scola fait ce qu'il peut
pour suivre les demandes du chef, mais ses efforts sont malheureusement
trop visibles (2)
et on frise parfois l'accident. Le volume vocal reste quant à lui
insuffisant : ce ténor ne peut donc plus jouer que sur la séduction
de son timbre, qualité très subjective. On comprendra que
dans ces conditions, le souci de la Scola ne soit pas d'émouvoir,
mais bien plus tôt de s'en sortir sans trop de casse !
Difficile de juger de la performance
de Carlo Colombara : celui-ci était annoncé souffrant et
cela s'entend : voix blanche, chant précautionneux, il réussit
néanmoins à venir à bout de la partition sans encombre.
Rendez-vous manqué, donc.
Authentique maître d'oeuvre de
ce concert, Zubin Mehta balaie pas mal des réserves que je pouvais
avoir à son sujet, réservés inspirées par le
souvenir de ses prestations précédentes.
Il tire vers le haut une phalange de
réputation moyenne et obtient des résultats originaux et
très intéressants en maints endroits : la fugue du "Sanctus",
en particulier, met en valeur les contrepoints de la partition comme jamais
n'ont pu y parvenir ni Abbado, ni Muti qui en pourtant ont rénové
l'interprétation dans les dernières décennies. Les
efforts exigés des solistes - en particulier privilégier
le chant piano ou, plus exactement, conserver le même volume quelque
soit la hauteur de la note émise, alors que, naturellement, on chant
plus fort dans l'aigu - demeurent, hélas, relativement hors de portée
de ses interprètes. Au final, pas mal de grandes et belles scènes,
mais un manque de cohésion globale : un Requiem plus expérimental
qu'abouti, mais captivant par ses singularités mêmes.
Placido CARREROTTI
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Notes :
(1) On lui pardonnera donc le craquage
(extrêmement frustrant, cependant) du célèbre si bémol
pianissimo
final : "Requieeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeecrackboum".
(2) Le visage du chanteur varie du
rose pâle (bas médium) au rouge pivoine (à partir du
la aigu !) : c'est Hulk en rouge !