Ce n'est
pas sans crainte que je me suis rendu à Liège pour ce premier
volet de la Tétralogie. Un tel projet est bien ambitieux pour une
"petite" maison comme l'Opéra Royal de Wallonie. Cependant, je m'étais
décidé à y aller sans a priori, en oubliant les grandes
références des temps glorieux qui sont familières
à mes oreilles. Et - ma foi - j'y ai pris du plaisir.
Commençons par la mise en scène,
qui est une vraie réussite. Et le premier élément
de cette mise en scène est la position de l'orchestre, littéralement
suspendu au fond de la scène, ce qui crée un lien de proximité
assez unique avec les chanteurs. On pourrait discuter longtemps sur cette
option de "délocalisation", mais mis à part peut-être
quelques détails orchestraux qu'on devine parfois plus qu'on ne
les entend, c'est loin d'être gênant tant l'équilibre
avec les voix est réussi.
Cela étant dit, la direction
des acteurs est impeccable. Tout est précis, tout fait sens (mis
à part le traitement du personnage de Freia, et l'arrivée
d'Erda - des détails à vrai dire sur une durée de
2h30 !). On assiste là à du vrai théâtre, et
on échappe surtout au lourd message socio-politique qui fait souvent
la trame de nombreuses mises en scène du Ring depuis de longues
années. Les changements de tableaux (et de décors) sont particulièrement
ingénieux; trois plateaux mobiles permettent ces nombreux changements.
Il fallait évidemment faire preuve de débrouillardise, la
scène n'étant ni bien large ni bien profonde. Pari réussi
sur ce plan-là.
Les costumes ne sont pas à proprement
parler formidables (mais il faudra peut-être voir l'évolution
au cours de la suite de ce Ring) ; c'est même assez bigarré.
On notera tout de même un Loge au look très travaillé
et des filles du Rhin franchement séduisantes. J'en reste là
sur la mise en scène, un Ring se juge de préférence
sur l'ensemble des journées pour ce qui est de la cohérence
du propos scénique.
La direction musicale et la prestation
de l'orchestre appellent à un peu plus de réserve, mais on
est toujours resté dans "le bon". On sentait bien une réelle
application, et la concentration était palpable (mais aussi du côté
du public, que j'ai rarement aussi peu "entendu" à Liège
!). Et c'est peut-être cette trop bonne volonté de "bien faire"
qui a rendu parfois le propos orchestral un peu terne (à titre d'exemple,
le Rhin était bien sage tout au long du prélude). Bref, l'orchestre
semblait souvent un peu en-dedans. Cela dit, M. Pleyer a toujours montré
qu'il savait où il allait. Au point de vue de la performance proprement
dite, on aura certes noté à quelques reprises de petits cafouillages
au niveau des cuivres (les cors surtout, très exposés en
certains passages), mais tout resta de très bonne tenue, avec une
mention "bien" adressée aux vents. Avec le temps et l'appréhension
diminuant je suis persuadé que l'orchestre ne pourra que se montrer
plus séduisant et la lecture de M. Pleyer plus engagée. Avouons
qu'hier c'était plutôt le "bon ton" que le souffle épique
qui était de mise. En comparaison avec des enregistrements récents,
tout cela fut dans l'ensemble franchement honorable.
Tomas Tomasson - Fafner / Léonard
Graus - Fasolt
Jean-Philippe Lafont - Wotan / Martine
Surais - Fricka
© Opéra Royal de Wallonie
Venons-en au plateau. Jean-Philippe
Lafont exécutait hier sa prise de rôle en Wotan. On connaît
la voix puissante et sombre de l'artiste ; il restait à savoir si
le rôle allait lui convenir. Vocalement, il est vrai que le Wotan
du Rheingold n'est pas très exigeant et ne recèle pas de
"pièges" (si ce n'est le fa dièse de l'"air" d'entrée,
qui a parfois donné du fil à retordre aux plus grands). La
voix de Lafont a traversé le rôle avec beaucoup d'aisance
: graves ronds, aigus tranchants et ligne de chant bien tenue. Voilà
qui est déjà beaucoup pour une prise du rôle. On pourra
bien sûr lui reprocher d'être un rien trop prosaïque et
de ne pas encore vraiment incarner un Dieu. À l'impossible nul n'est
tenu... Pourtant - et c'est aussi l'oeuvre qui le veut - la vraie révélation
de cette soirée fut l'Alberich de Werner Van Mechelen, dont la prestation
fut vraiment formidable. N'eussé-je eu Neidlinger dans l'oreille
que j'en aurais bavé ! Tout y était : présence scénique
irrésistible, prononciation tranchante comme le veut le rôle
(toutes ces allitérations à donner le tournis !), voix expressive
et tout à fait en place... Bref une réelle connaissance approfondie
du rôle. Le Loge de James McLean était sans conteste moins
enthousiasmant sur le plan purement vocal (registres peu homogènes
et fatigue perceptible par moments) mais il s'est montré très
à l'aise dans cette mise en scène, qui lui faisait la part
belle.
Rien à redire sur les géants,
de très bonne tenue (ce Graus peut vraiment tout chanter). Les plus
petits rôles de Donner et Froh n'appelant eux non plus aucun reproche
important (Joakim donnant même une fort belle scène "d'orage";
Heda Heda Hedo...).
Magali Mayenne - Foßhilde
/ Christine Solhosse - Wellgunde
Wener Van Mechelen - Alberich
/ Anne-Catherine Gillet - Woglinde
© Opéra Royal de Wallonie
Chez les femmes, on était moins
à la fête. Pour une Freia à l'aigu instable et au timbre
pâle, il y avait une Fricka (Martine Surais) franchement mauvaise.
Chantant sans exception (ou si peu) faux dans le grave (mal poitriné
en plus !), à l'émission incertaine et au vibrato parfois
gênant. Son allemand est en outre incompréhensible. L'Erda,
dans sa brève apparition, a chanté, puissamment certes, mais
sans réelle inspiration. Pour le mystère, cherchons ailleurs...
Mais le plateau féminin se rachetait par un superbe trio de filles
du Rhin, emmené par une Gillet pleine de grâce et de fraîcheur
dans la voix.
Vraiment, on a eu de très bons
moments au cours de ce Rheingold. Beaux moments vocaux (assez souvent)
et beaux moments de théâtre (dans l'ensemble à vrai
dire). Grinda ne serait-il pas en train de gagner son pari ? C'est tout
le mal que je lui souhaite. Espérons que la Walkyrie à venir
sera de même tenue. On attend là - entre autres - une Brünhilde
vaillante pour notre bonheur. Hojoho toho !
Cédric Torfs