C O N C E R T S 
 
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LONDRES
18/12/04

Antonio Pappano & Bryn Terfel
DAS RHEINGOLD

Richard Wagner

Prologue en quatre scènes du Ring des Nibelungelen

Mise en scène : Keith Warner
Décors : Stefanos Lazaridis
Costumes : Marie-Jeanne Lecca
Lumières : Wolfgang Göbbel

Wotan : Bryn Terfel
Fricka : Rosalind Plowright
Alberich : Günter von Kannen
Loge : Philip Langridge
Mime : Gerhard Siegel
Erda : Jane Henschel
Wöglinde : Sarah Fox
Wellgunde : Heather Shipp
Flosshilde : Liora Grodnikaite
Freia : Emily Magee
Fasolt : Franz-Josef Selig
Fafner : Phillip Ens
Froh : Will Hartman
Donner : James Rutherford

Orchestre du Royal Opera 
Direction : Antonio Pappano

Londres, Royal Opera House,
18 décembre 2004



LES DIEUX SONT TOMBÉS SUR LA TÊTE 

Sur le papier, la nouvelle Tétralogie confiée à Keith Warner constituait l'un des points forts de la saison 2004-2005 du Covent Garden. D'abord parce que la précédente production n'avait pas laissé un souvenir impérissable (1). Ensuite parce que Bryn Terfel est un artiste extrêmement populaire outre-Manche, dont la notoriété dépasse largement le cercle restreint des amoureux de l'art lyrique. Autant dire que sa prise de rôle a été largement couverte par les médias, le théâtre affichant rapidement "complet" (et ce sera sans doute encore pire pour Die Walküre).

Wotan est un rôle trop important et trop difficile pour apporter ici un commentaire "définitif" sur la prestation du chanteur gallois : un personnage aussi complexe se mûrit au travers de plusieurs années de fréquentation de l'oeuvre (et la première journée n'est pas la plus significative). Cette soirée est toutefois d'un très bon niveau et il clair que Terfel a bien le potentiel pour être un grand Wotan dans les années à venir. Vocalement, le chanteur assure la représentation sans faiblir, sans tricher, ne sacrifiant jamais les nuances au profit de la puissance. Même dans les ultimes phrases de l'ouvrage, il arrive encore à produire des colorations subtiles sur le registre de tête, alliées à des déchaînement en registre de poitrine.

L'attention au texte est extrême, chaque phrase étant ciselée avec intelligence. Physiquement, l'artiste ne manque pas d'allure, dominant le plateau de sa grande taille. Reste que le personnage est encore un peu commun, manquant d'intériorité : la faute à une mise en scène à peu près vide de sens.

Tape-à-l'oeil et mal fichue, la production de Keith Warner laisse en effet perplexe. L'ouvrage démarre par une trentaine de secondes de noir quasi absolu, les pupitres n'étant même pas allumés dans la fosse pour les premières mesures. 

C'est le meilleur moment.

Suit une série de projections diffuses, avant qu'on puisse commencer à distinguer le complexe et encombrant décor de Stefanos Lazaridis : un gigantesque toboggan hélicoïdal sur lequel Alberich progresse vers les profondeurs du Rhin. Sa barque avance avec lenteur, par à-coups, provoquant des grincements qui n'ont rien de wagnérien. Quelques nouvelles projections suggèrent un milieu aquatique, mais la scène est trop sombre pour qu'on distingue franchement quoi que ce soit de précis.

Les Filles du Rhin sont peu farouches : la première entreprend de satisfaire Alberich par une fellation (pour qu'il n'y ait aucune équivoque, le nain donne quelques coups... de Rhin (2)) ; les deux autres entreprennent de le déshabiller (elles sont elles-mêmes pratiquement nues, du moins c'est ce qu'il semble dans la pénombre). Ces fantaisies passées, Alberich est vite intrigué par l'Or, figuré par une gigantesque sphère argentée qui flotte au dessus du sol tel un pendule : il la détruit, s'empare d'une espèce de boule disco, puis s'enfuit par une échelle.

La scène suivante nous plonge dans un intérieur figurant la bourgeoisie britannique de l'ère industrielle : un télescope à gauche, une gigantesque cheminée à droite ; les dieux sont dans leurs tenues d'intérieur : robes victoriennes pour les dames, robes de chambres chinoises pour Froh et Donner, fracs incomplets pour les autres. Les géants sont d'abord figurés par de gigantesques ombres chinoises dans l'encadrement de la véranda ; à y regarder de près, Fasolt est habillé en honnête travailleur, mais Fafner est plus inquiétant : son gigantesque haut de forme cache un crâne oblong, disproportionné. Pétard et feu de Bengale dans la cheminée, Loge apparaît dans un fauteuil qui pivote d'un demi tour : un effet qui devait stupéfier les spectateurs du Grand Guignol il y a 150 ans. Mal fringués et guère policés, ces dieux ne sont pas non plus très distinguées : on sent les "nouveaux riches" ! Mais ils finissent par conclure avec les Géants, Wotan et Loge empruntent alors une échelle pour descendre au royaume des Nibelungelen.

Le plateau s'envole vers les cintres, laissant place à une espèce de laboratoire, la clinique d'un savant fou. Là, Alberich, en blouse blanche, joue les Docteur Frankenstein en créant une armée de nains décérébrés à partir de morceaux humains dépareillés ; à moins qu'il ne s'agisse du Docteur Mengele : un des nains subit la chaise électrique, un autre semble torturé sur sa civière. Entre temps, Mime, son frère et assistant, a forgé le Tarnhelm, le heaume magique qui permettra à Alberich d'être invisible ou de changer d'apparence (le heaume est ici remplacé par une espèce de Rubik's Cube, argenté sur cinq faces et creux pour la sixième). Sous l'incitation de Loge, Alberich enfile le casque, se met accroupi derrière une chaise, accroche le cube au dossier et disparaît par une trappe avant que le masque ne tombe par terre : un truquage qui ferait pleurer de rire un enfant de 5 ans.

Pour la transformation en serpent, nous avons droit à un grand monsieur avec un gros cube sur la tête et qui rampe ; pour le crapaud, un petit cube sous lequel Loge découvre un jouet à ressort dont les bonds font éclater de rire la salle (c'est la goutte qui fait déborder le Rhin). La grenouille est enfermée dans une mallette de cuir noir et... en avant vers les échelles pour le retour au bercail.

Au palais des dieux, nouvel éclat de rire : Loge pose sa valise sur le sol, l'ouvre... et c'est Alberich lui-même qui en sort en chair et en os !

Après que Fafner tue Fasolt (d'un coup de lingot qui laisse des traces de sang sur les vitres), les dieux montent au Walhalla (toujours par des échelles, bien entendu) dans un effet d'une sobriété en total désaccord avec la musique. 

Autant dire que toutes ces élucubrations n'offrent aucun intérêt. On ne peut même pas parler de "mise en scène provocante", type de traitement qui peut avoir des effets dépoussiérants ; on en est loin : du cosmique, nous sombrons dans le comique. 

Cette scénographie compliquée et médiocre pourrait être compensée par une direction théâtrale fine et originale. Mais là aussi, c'est le néant. Rien sur les rapports des personnages les uns avec les autres, sur leurs motivations profondes, sur leurs sentiments...

La faiblesse d'une telle production fait d'ailleurs craindre le pire pour la suite de cette Tétralogie : L'Or du Rhin n'est pas l'ouvrage le plus difficile à monter des quatre journées.

Dans ces conditions, la suite de la distribution ne s'apprécie que par les performances individuelles de chacun des chanteurs.

Günter von Kannen incarne avec beaucoup d'investissement un Alberich detestable à souhait : nain misérable avec les filles du Rhin, savant fou sans scrupule avec Loge et Wotan. Ceci dit, ce n'est pas non plus la plus belle voix de la terre et le chant est souvent sacrifié à l'expressivité.

Philip Langridge est un vieil habitué du rôle de Loge dans lequel il déploie sans retenue ses talents d'acteurs ; drôle, espiègle, mais sans être inquiétant. Vocalement, le résultat est superbe : quand on pense que cet artiste chante depuis des décennies, c'est même franchement remarquable.

Il serait fastidieux de s'arrêter à chacun des interprètes de ce spectacle ; citons tout de même la Fricka de Rosalind Plowright, d'une classe victorienne; les géants de Franz-Josef Selig et Phillip Ens, très efficaces ; Will Hartman, quant à lui, laisse entrevoir de beaux moyens dans ses courtes interventions en Froh (un chanteur à suivre, donc) ; plus en retraits, le Donner de James Rutherford, pas très raffiné, la Freia d'Emily Magee un peu effacée et l'Erda de Jane Enschel, impressionnante chanteuse dans l'absolu, mais peu à l'aise dans une tessiture d'alto.

La direction d'Antonio Pappano est élégante et l'orchestre irréprochable : il faudra juger sur la durée de cette approche peu spectaculaire.
 
 
 

Placido Carrerotti

1. Ah ! La lance de Wotan en forme de panneau "sens interdit"...
2. Il m'a même semblé qu'Alberich laissait passer l'extrémité de sa rame d'entre ses cuisses ; d'une vingtaine de centimètre. "L'Ordure 1" en quelque sorte.
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