Si l'on
excepte une exécution concertante en 1999, sous la direction de
Giuseppe Sinopoli, il aura fallu attendre quarante quatre ans pour que
L'Or du Rhin fasse son retour dans la capitale romaine : la dernière
production sur la scène du Théatre Costanzi datait en effet
de février 1961, avec Lovro von Matacic à la baguette. Après
la création le 3 avril 1906, les reprises avaient pourtant été
très régulières puisqu'on en compte pas moins de 5
entre 1938 et 1961, celles de 1938, 1939 et 1943 ayant bénéficié
de la présence de Tullio Serafin.
Pour cette nouvelle production, l'opéra
de Rome a fait appel au metteur en scène florentin Pier'Alli qui
propose une vision très cinématographique de l'oeuvre. La
longue ouverture est accompagnée d'images de synthèse représentant
une sorte de rouleau marin dans lequel le public est aspiré ; le
vol de l'or à la fin du premier tableau donne lieu à des
jeux réussis sur les couleurs et les formes. Au total, l'ensemble
est proprement haletant et très didactique. Les allusions aux productions
de science fiction des dernières décennies sont transparentes
: les costumes (Fricka porte notamment deux espèces de dessous-de-plat
sur les oreilles tout droit récupérés de la Princesse
Leia) et certains éléments du décor (le Walhalla de
la scène 2 est une tour futuriste) rappellent ceux de la Guerre
des Etoiles ou du Seigneur des Anneaux (Froh ressemble comme deux gouttes
d'eau au Legolas d'Orlando Bloom). La mise en espace est efficace, notamment
grâce à un mélange étonnant d'images réalisées
sur ordinateur et d'éléments de décors concrets. L'impression
d'ensemble est saisissante, par exemple lorsqu'Alberich joue avec le casque,
jeu matérialisé sur la scène par l'appartition d'un
masque façon Dark Vador.
Le rythme est d'autant plus soutenu
que le choix a été fait de proposer les quatre scènes
dans leur continuité, sans entracte, le chef Will Humburg, qui avait
remplacé Sinopoli, en 2000, à Rome pour Siegfried
et Götterdämnerung, souhaitant mettre en valeur "ce grand
récitatif, cette grande conversation en musique. Le test est probant
: les 2h45 de musique passent sans aucun moment d'ennui.
Dans la fosse, l'orchestre de l'opéra
a été légèrement renforcé pour atteindre
85 musiciens mais la composition souhaitée par Wagner a été
aménagée, notamment pour des motifs de place : les 6 harpes
ont été réduites à 2 et l'effectif des cordes
a également été revu à la baisse. Au total,
les cuivres ressortent bien, comme il se doit sans doute et le chef parvient
à mettre en valeur les thèmes et leitmotivs qui constituent
la trame musicale de L'Or du Rhin.
Côté voix, le plateau
principalement composé de spécialistes, est dominé
par le trio formé de Wotan, d'Alberich et de Loge, tous trois assurés
par des artistes allemands. Le chef des Dieux est campé par le baryton
allemand Ralf Lukas, originaire de Bayreuth, ce qui donne quelques dispositions
pour le rôle (!). S'il manque quelque peu de projection au début
de la scène 2, l'affrontement avec les géants lui permet
de donner la pleine mesure de sa voix. Le rôle d'Alberich est lui-aussi
tenu par un spécialiste allemand du rôle, qu'il a notamment
chanté à Bayreuth : Hartmut Welker. Sa présence scénique
et vocale fait merveille jusqu'à la fin sans marque de fatigue,
notamment à la scène 3, face au Mime de Peter Keller ou,
à la scène 4, pour la malédiction. La palme des applaudissements,
à peu près chaleureux pour Rome, va au ténor bavarois
Christian Franz. La voix n'est pas particulièrement belle mais le
jeu, appuyé sur une riche palette de couleurs, est captivant. On
pourra simplement regretter son accoutrement ridicule, avec un manteau
rouge et une crinière du même goût le faisant ressembler
à George Michael !
Les autres partenaires masculins sont
de bon niveau, avec une mention particulière pour le Fasolt de Johan
Tilli et le Donner de Filippo Bettoschi (si seulement, il arrêtait
de battre la mesure avec son bras droitÖ).
Côté dames, la Fricka
de la mezzo suédoise Katja Lytting est vocalement très séduisante,
ce qui n'est pas le cas d'Elisabete Matos en Freia. Peut-être en
méforme, la soprano est en difficulté dans tous les passages
aigus de son court rôle. Quant à la grande Hanna Schwarz,
ce n'est qu'en raison du souvenir des nombreuses belles soirées
passées à l'opéra en sa compagnie, qu'on taira le
triste sentiment laissé par son apparition à la quatrième
scène... Un dernier mot pour les filles du Rhin dans le premier
tableau. Leur ensemble est en place, mais toutes les invocations "Rheingold,
Rheingold" étaient prises trop bas et les aigus hurlés.
Le spectacle est au total de bonne
tenue. Dommage que les Romains qui avaient prévu d'y aller à
la troisième représentation, le 21 octobre, en soient privés
par un mouvement de grève destiné à protester contre
les coupes massives dans le budget de la culture prévu par Berlusconi
: il faut dire que le fonds public pour le spectacle devrait passer de
464 millions d'euros à 300...
Jean-Philippe THIELLAY