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BORDEAUX
11/02/2007
© Sygrid Colomyès
Giuseppe VERDI (1813 – 1901)
RIGOLETTO
Opéra en trois actes, créé à la Fenice de Venise le 11 mars 1851
Livret de Francesco Maria Piave
d’après Le Roi s’amuse de Victor Hugo
Nouvelle production Opéra National de Bordeaux,
coproduction Opéra de Monte-Carlo
Mise en scène : Eric Génovèse,
Sociétaire de la Comédie Française
Décors : Jacques Gabel et Claire Sternberg
Costumes : Philippe Binot
Lumières : Olivier Tessier
Le Duc de Mantoue : Charles Castronovo (A) ou Dimitri Pittas (B)
Rigoletto : Alexandru Agache (A) ou Victor Torres (B)
Gilda : Ekaterina Siurina (A) ou Pauline Courtin (B)
Sparafucile : Eric Martin-Bonnet
Maddalena : Natascha Petrinsky
Le Comte Monterone : Leandro Lopez-Garcia-Vandersteen
Marullo : Kyu Won Han
Borsa : Jean-François Borras
Giovanna : Claire Larcher
La comtesse Ceprano : Claire Larcher
Le comte Ceprano : Loïck Cassin
Un huissier : Jean-Marc Bonice
Un page : Wha Jin Lee
Distribution A (9, 12, 15, 17 et 20 fév.)
Distribution B (11, 13,16, 18 et 21 fév.)
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Choeur de l'Opéra National de Bordeaux
Direction musicale Alain Altinoglu
Grand-Théâtre, Bordeaux, le 11 février 2006, 15h
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Baptême du feu
« Pour moi, le meilleur sujet, quant à l’effet,
que j’ai jamais mis en musique est Rigoletto »
écrivait Giuseppe Verdi à Antonio Somma en 1853.
L’œuvre n’est pas pour autant la plus facile à
mettre en scène. L’enchaînement des tableaux (le
passage de la ruelle à la maison de Rigoletto au premier acte),
la nécessité de montrer à la fois
l’intérieur et l’extérieur des lieux (la
maison de Rigoletto encore ou l’auberge de Sparafucile), les
situations emberlificotées (l’enlèvement de Gilda)
en rendent la réalisation compliquée.
Eric Génovèse,
par un système ingénieux de plateau circulaire en pente
composé de deux tournettes asymétriques, réussit
à surmonter l’obstacle ; le livret est
respecté à la lettre et la lisibilité de
l’intrigue n’est jamais prise en défaut. Le
dispositif présente malgré tout un
inconvénient : sa forte déclivité entrave les
déplacements du chœur. La scène du bal, au
début du premier acte, comme celle des courtisans, au
deuxième acte, peinent à s’animer. A
l’inverse, les passages plus intimes sont traités avec un
grand souci du geste et du mouvement ; le metteur en scène
est aussi comédien, il nous le rappelle alors. Les contours des
décors, noirs à dessein pour mieux jouer sur les
contrastes, et les costumes, résolument XIXe, placent la
représentation sous le signe d’un romantisme
crépusculaire et désespéré. Quelques jolies
trouvailles achèvent de convaincre :
l’éclairage soudain du lustre à la fin du
prélude, le maquillage que Rigoletto enlève de
façon convulsive, la longue étoffe rouge que traîne
Gilda après le viol… Au final, le coup d’essai
– c’est la première fois qu’Eric
Génovèse met en scène un ouvrage lyrique –
s’avère concluant.
© Sygrid Colomyès
Il
n’est pas le seul, en cette matinée, à
s’offrir un baptême du feu. Il s’agit aussi pour les
trois protagonistes d’une prise de rôle. Leur
interprétation s’approfondira vraisemblablement au fil du
temps mais l’essentiel est déjà présent, les
qualités comme les défauts.
Ainsi Dimitri Pittas ne possèdera jamais véritablement la
séduction du duc de Mantoue. Le timbre accuse trop de
duretés, la voix manque de souplesse, la largeur du medium
appelle d’autres rôles. La composition n’est pas pour
autant inintéressante car ce duc gagne en sensualité
animale ce qu’il perd en élégance. La
brutalité qui se dégage du personnage, sa mâle
assurance expliquent aussi d’une certaine manière son
invulnérabilité. Et puis, le ténor sait tout de
même le moment voulu - « la donna e
mobile » évidemment - introduire le velours qui lui
faisait jusqu’alors défaut.
De la même manière, le Rigoletto de Victor Torres laisse
perplexe. Toutes les notes sont présentes ; la voix passe
la rampe sans encombre même si le volume n’est pas
considérable – Dimittri Pittas à cet égard
est davantage sonore. Mais les couleurs estompées tirent le
personnage vers le père plus que vers le bouffon –
Rigoletto est pourtant l’un et l’autre. La douleur semble
mieux lui convenir que le venin ou la rage vengeresse. La grande
scène du deuxième acte en offre le meilleur exemple. Le
« cortigiani, vil razzi » ne mord pas ; il
faut attendre la plainte de « Ebben, piango,
Marullo » pour être touché. De la même
manière, lors des duos avec Gilda, se dégagent surtout la
tendresse au premier acte de « Deh, non parlare al
misero » et la compassion, au deuxième, de
« piangi, fanciullia » plutôt que le
déchirement, au troisième, de « Dio
tremendo » qui requiert une autre violence dans le
désespoir.
Pauline Courtin, en Gilda, laisse le même sentiment
mitigé. La musicalité, la fraîcheur, la hauteur de
l’émission font merveille au premier acte. Les coloratures
de « Caro nome » sont traduites avec une grande
justesse ; la jeunesse et l’innocence de Gilda apparaissent
éclatantes. Elle sait aussi, à l’acte suivant,
apporter un supplément de chair à ce chant
éthéré. Mais les ensembles du troisième
acte – le quatuor, le trio puis le duo final – trouvent ses
limites. La voix, trop légère, peine à exprimer
les tourments de la jeune fille. Ce n’est pas un problème
de puissance mais une question de nature vocale. Le rôle demande
alors un autre soprano, plus lyrique.
Parmi les autres personnages, on retiendra surtout la Maddalena
torride, tant physiquement que vocalement, de Natascha Petrinsky, le
niveau de l’ensemble, les chœurs notamment,
s’avérant plus que satisfaisant.
Alain Altinoglu, à la tête d’un Orchestre National
de Bordeaux Aquitaine des grands jours, semble privilégier avant
tout l’équilibre. Sa direction se situe entre
l’emphase – le final du prélude, en accord avec la
mise en scène, ou l’orage du troisième acte –
et, au contraire, une certaine retenue, indispensable pour ne pas
surligner le trait. Certes, la banda, lors du bal, sonne un peu maigre
et l’accompagnement de « Si vendetta »
parait un rien trivial. Mais, à l’impossible, nul
n’est tenu.
Enfin, comment ne pas passer sous silence, le murmure qui accompagne
les premières mesures de « La donna e
mobile ». Le public, ravi de reconnaître l’air,
se laisse aller à chantonner. Preuve supplémentaire que
ce n’est pas à la Bastille qu’il faut chercher
l’opéra populaire mais sur d’autres scènes,
autrement vivantes.
Christophe RIZOUD
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