PAPY
FAIT DE LA RESISTANCE
Pour cette reprise du spectacle
d'Otto Shenk déjà chroniqué dans nos colonnes (1),
nous retrouvons deux habitués.
A tout seigneur tout honneur
: Ramon Vargas apporte au Duc de Mantoue la somptuosité d'un timbre
chaleureux et un investissement dramatique qui l'honore. Vocalement, les
choses ne sont plus si roses : la fréquentation de rôles plus
lourds (Hoffmann, Don Carlo, Riccardo) lui vaut aujourd'hui une voix plus
dramatique ; dans ces conditions, les aigus sont souvent difficiles (2),
les vocalises et trilles souvent escamotées. Espérons que
cette belle voix n'aura pas quitté trop prématurément
son répertoire d'élection (3).
La Gilda de Ruth Ann Swenson
n'est plus une surprise non plus. Comme je l'écrivais dans la chronique
déjà mentionnée (1), cette belle
artiste est sans doute mal distribuée dans ce rôle qui exige
une voix plus dramatique. Convenons qu'avec le temps, la voix s'est épaissie
et s'approche davantage de la typologie vocale requise. Mais, là
aussi, cette évolution se fait au détriment de la souplesse
vocale : trilles et notes piquées sont carrément éludées
et les piani encore plus rares qu'en 2002. Swenson campe néanmoins
une Gilda émouvante et finit par remporter un triomphe au rideau
final.
A l'inverse, le Rigoletto
de Franz Grundheber est plutôt une curiosité, ce chanteur
s'étant en grande partie consacré au répertoire allemand
(ne citons que ses Wozzeck, Orest, Kurwenal, Cardillac, Barak, Mandryka
ou encore le Hollandais) (4). Après environ quarante
ans d'un tel régime, son état vocal tient du miracle : un
volume impressionnant, des aigus extravertis, un vibrato discret
et contrôlé ... c'est assez incroyable. Certes, nous entendons
bien un baryton de l'école allemande (avec ses libertés belcantistes
et ce timbre si caractéristique) et on pourrait dénoncer
une certaine inadéquation stylistique si les Italiens n'avaient
pas été les premiers à proposer des incarnations ultra
véristes du personnage. Dramatiquement, c'est un peu plus routinier
: les "petites phrases" habilement caractérisées (du style
"Che sento !", "Io la lingua", etc.) alternant avec des airs débités
sur un ton un peu trop monochrome.
Les seconds rôles sont
incarnés par les vieux habitués de la maison, toujours aussi
efficaces, à l'exception de Sparafucile, rôle pour lequel
Stephen Milling faisait ses débuts : l'artiste est physiquement
imposant (un géant danois) et les moyens impressionnants, quoique
pas encore franchement maîtrisés (une basse à suivre
en tout cas).
La direction de Marco Armiliato
est plus professionnelle qu'inspirée : pas d'anicroches entre le
plateau et la fosse, mais pas de véritable drame non plus malgré
des chanteurs plutôt engagés. Il faut dire que la production
d'Otto Shenk est un cadre bien sage pour ce chef-d'oeuvre de noirceur.
Placido Carrerotti
Notes
1. Rigoletto,
New York le 6 avril 2002 : http://www.forumopera.com/concerts/rigoletto-met.htm
2. Notamment lors
de la première scène du premier acte, meurtrière :
ré-écoutez Di Stefano dans l'intégrale commerciale
d'EMI !
3. Je pense à
ses admirables interprétations d'Edgardo ou à son magnifique
enregistrement de La Favorite.
4. Franz Grundheber
n'en néglige pas pour autant le répertoire italien : il est
d'ailleurs le premier baryton allemand à avoir incarné, dix
fois, Rigoletto au Metropolitan (en 1999 et 2001).