Monter Rigoletto - comme n'importe
quelle grande oeuvre du répertoire, marquée par le passage
d'interprètes remarquables et immortels - c'est se confronter à
un gros problème de distribution. Quand on est une maison aux finances
modestes comme l'Opéra Royal de Wallonie, ce problème prend
une ampleur encore plus considérable et réunir une distribution
de qualité devient un véritable tour de force.
La mise en scène de Paul-Emile
Fourny, directeur de l'Opéra de Nice, a le mérite de ne pas
faire de cette tragédie romantique ce qu'elle n'entend pas être.
Pas de lecture pantagruélique, pas d'orgies pasoliniennes, Gilda
n'évolue pas en bas résilles et Rigoletto ne viole pas des
nains hydrocéphales en chantant son désespoir. Non, rien
de tout cela. Paul-Emile Fourny agence un décor élégant,
résolument réaliste dans lequel se meuvent des interprètes
bien dirigés et par ailleurs bons acteurs. Evidemment, certaines
fines bouches ne manqueront pas de reprocher à monsieur Fourny d'avoir
voulu échapper à une lecture approfondie et "inspirée"
du chef-d'oeuvre de Verdi. Cette mise en espace sobre a au moins le mérite
de sauver l'oeuvre du Grand-Guignol dans lequel de nombreux metteurs en
scène la précipitent avec pertes et fracas.
Habitué de la maison où
il est accueilli en héros, le baryton belge Marcel Vanaud campe
un triste Rigoletto. Cabotin dans les scènes de cour, réservé
et noble dans les scènes intimes, sa prestation théâtrale
ne convainc pas vraiment. Le rôle de père meurtri semble lui
convenir davantage que celui d'amuseur public. Vocalement, on déplorera
un timbre à présent rauque et une tendance à chanter
souvent trop bas. Reste que le chanteur a du métier et nous réserve
- dans les passages les plus intimes - de beaux moments.
Roger Joakim - Il Comte di Monterone,
Seng-Hyoun Ko - Rigoletto et
les Choeurs de l'O.R.W.
© Opéra Royal de Wallonie
Valery Serkin est la déception
de cette soirée : son entrée fait craindre le pire avec une
émission incertaine et un charisme de comprimario. Le célèbre
ténor, qui faisait cet été une apparition remarquée
dans La Traviata d'Aix-en-Provence, se ressaisira dans son air et
sa cabalette du II, mais la "Donne e mobile" ne provoquera que quelques
applaudissements embarrassés d'un public généralement
heureux de montrer son enthousiasme. Qu'est ce qui pose problème
? Avant tout, le jeune ténor chante terriblement faux, parfois trop
haut, parfois trop bas. La voix n'est pas vilaine, au contraire, mais l'artiste
semble avoir toutes les peines à la poser correctement, à
aucun moment elle n'a l'insolence d'un jeune homme beau, à qui tout
réussit et auquel personne ne résiste.
Dotée d'un timbre ravissant
et corsé (à la Cotrubas), Olga Mykytenko campe une Gilda
de grand talent, l'actrice est d'ailleurs très impliquée
dans la mise en scène. On retiendra un médium solide et une
couleur de voix rayonnante que seuls quelques aigus stridents gâchent.
L'intervention de Gilda mourante est un moment de grande émotion.
Les seconds rôles sont habilement
distribués, une mention particulière pour le Sparafucile
de la jeune basse Marco Spotti et pour le Monterone solide de Roger Joakim.
Enfin, il nous faut déplorer
l'absence de Giuliano Carella, initialement prévu pour diriger ce
Rigoletto et remplacé par un jeune chef du nom d'Antonello Fogliani.
Si celui-ci tient bien son orchestre, il n'en adopte pas moins des tempi
étranges (la cabalette du Duc au IIe acte est dirigée
à une vitesse ridicule, semant sur son passage le pauvre ténor
incapable de phraser correctement). Au final, une standing ovation
d'un public conquis... et c'est sans doute là l'essentiel...
Camille de RIJCK