C O N C E R T S
 
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OTTAWA
29/03/2004

(Agathe Martel & Gary Simpson)
Giuseppe VERDI

RIGOLETTO

Livret de Francesco Maria Piave d'après
Le Roi s'amuse de Victor Hugo

Direction musicale : Tyrone Paterson
Mise en scène : Ludek Golat
Décors : location du Cleveland Opera
Costumes : Malabars
Éclairages : Steven Ross

Le Duc de Mantoue : Warren Mok
Rigoletto : Gary Simpson
Gilda : Agathe Martel
Maddalena :Julie Nesrallah
Le Comte Monterone/Sparafucile: Taras Kulish
Borsa : Neil Wright
Marullo : Steven Pitkanen
Giovanna : Joyce El-Khoury
La Comtesse Ceprano : Maghan Stewart
Le Comte Ceprano : Dario Echeverri
Le page : Danielle Vaillancourt
Le placeur de la cour : Brian Spooner
 

Centre national des Arts, Salle Southam
Représentation du 29 mars 2004



Pour Verdi et Gilda
 

De tous les opéras de Verdi, Rigoletto est peut-être celui dans lequel l'action s'enchaîne avec la plus grande régularité sur une musique toujours attentive à la succession des événements. Dans le développement du langage expressif, le compositeur trouve des accents nouveaux . Jamais encore Verdi n'a poussé aussi loin l'importance de l'accompagnement orchestral pour souligner les émotions des personnages et jamais il n'a dessiné avec autant de soin leur profil psychologique. Pour la première fois, Verdi crée un caractère type pour baryton auquel il donne une personnalité unique dans l'ensemble de son oeuvre. Ce rôle, particulièrement difficile à camper en raison des émotions divergentes que vit le héros, est un énorme défi pour l'interprète et c'est en grande partie sur ses épaules que repose la réussite d'une représentation de l'opéra.

Manquant de naturel, Gary Simpson n'incarne pas un bouffon satisfaisant. Quand on veut faire rire, il faut y mettre de l'entrain et savoir jouer les histrions ; quand il en veut aux courtisans de lui avoir enlevé Gilda, il convient d'y montrer plus de conviction. De conviction justement, M. Simpson est dépourvu et c'est en somme la caractérisation du personnage qui en souffre le plus. Par contre, son timbre est magnifique, même si on souhaiterait plus de rondeur dans les parties aiguës du rôle. On reste quand même saisi par la beauté vocale du Cortigiani vil razza dont il rend avec émotion le splendide cantabile, Miei signori, perdono, pietate. Mais de pareils moments ne sont pas fréquents chez lui.

Agathe Martel frappe par l'intensité de l'expression dramatique et vocale. Elle incarne Gilda à la perfection avec juste ce qu'il faut de réserve et de naïveté pour nous convaincre de l'innocence de la jeune fille au premier et au deuxième acte, et d'abandon à la fin de l'opéra pour montrer comment elle est capable du plus grand sacrifice afin de sauver celui qu'elle aime. Elle possède le charme, l'élégance et la passion d'une artiste consommée et son superbe soprano lyrique s'envole avec aisance jusqu'aux contre notes qu'elle donne avec justesse et éclat. L'émission libre et chaleureuse, le phrasé, la ligne de chant et la sobriété du style en font une Gilda idéale. Sa projection est souple et elle arrive facilement à dominer les ensembles en présence et en chant, dont le superbe quatuor du dernier acte.

Malheureusement, le duc de Warren Mok fait pâle figure à côté de cette Gilda rayonnante. Sa présence scénique n'est pas banale, mais c'est sur le plan de la voix et de la façon dont il l'utilise que les problèmes surgissent. Le timbre manque de chaleur, le phrasé est pénible et la voix plafonne dans les aigus. Des difficultés d'intonation déparent également la ligne vocale.

Tarash Kulish interprète Monterone et Sparafucile avec grande intelligence. Son Monterone est sombre à souhait et musicalement splendide. Son portrait de meurtrier à gage est particulièrement saisissant avec, dans le jeu et dans la voix, une pointe d'ironie trahissant l'habitude du "métier". Grâce à sa présence et à son charisme, Julie Nesrallah donne une belle dimension au bref, mais décisif passage de Maddalena dans l'action, jouant et chantant brillamment la perversion. A part le strident Borsa auquel nous avons droit, les autres rôles secondaires sont convenablement interprétés.

On doit saluer la prestation des choeurs qui, dans Rigoletto, entrent et sortent parfois en fondu. Ils sont à la hauteur des difficultés que cela entraîne et savent faire ressortir la générosité de la ligne mélodique. L'Orchestre du centre national des Arts sous la direction de Tyrone Paterson apporte un soutien très adéquat aux chanteurs sans jamais les couvrir. Cependant, on aurait aimé plus de vigueur et de tension dramatique dans les passages sombres, en particulier lorsque Monterone jette sa malédiction au premier acte et qu'il est conduit en prison à la fin du deuxième. Sortant de l'ombre et y retournant à chaque occasion, Monterone fait penser au commandeur dans Don Giovanni ; des sonorités plus accentuées seraient alors appropriées.

La mise en scène traditionnelle nous réserve parfois d'étranges instants ; n'en retenons que deux. Au deuxième tableau du premier acte, une femme assise sur un banc tient dans ses bras ce qui ressemble davantage à une poupée qu'à un poupon. Soudain, elle se lève et quitte la scène ! Quelle est la raison de cette poussée vériste que rien ne justifie? À la fin du premier acte, c'est ce banc et non une échelle que Rigoletto est chargé de tenir ! Allez savoir comment il ne s'en aperçoit pas, alors qu'évidemment personne n'y grimpe. Un moment de grâce pourtant. À la fin de l'opéra, Gilda se tient debout dans la chambre du duc d'où elle chante ses répliques. Madame Martel m'a elle-même expliqué le sens de cette exigence scénique : "Pour ce qui est du final de cette mise en scène, Gilda, déjà morte, revenait en tant qu'âme, visible et audible pour le public et non pour Rigoletto, comme un dernier adieu à son père." Cela donne à Lassù, in cielo, vicina alla madre et à Mio padre, addio un relief exceptionnel, comme si nous étions en train de voir l'esprit et d'entendre la voix d'un ange.

Les décors sont d'un kitsch qui s'accorde mal avec la beauté et surtout l'esprit de l'oeuvre. Alors qu'on s'attend à un peu de richesse chez le duc de Mantoue, on est étonné de voir le délabrement des draperies et des lambris. Le reste de la scénographie n'est guère plus exaltant. Au troisième acte, la maison de Sparafucile ressemble à une cabane montée sur pilotis, comme mes petits-fils sont capables d'en construire dans le boisé voisin. On finit par en rire, mais il ne faudrait pas qu'on retrouve trop souvent ce genre de décors si on veut attirer un jeune public à l'opéra. Il serait souhaitable qu'Opéra Lyra fasse des choix plus judicieux et évite dans l'avenir de pareilles locations. Mieux encore, une scénographie plus libre, davantage dépouillée et probablement moins coûteuse, imaginée par des artistes du cru pourrait se révéler beaucoup plus attrayante. À l'exception de la belle robe blanche et de l'écharpe bleue que porte Gilda, les autres costumes le disputent en ringardise aux décors.

C'est à la deuxième représentation de Rigoletto que j'ai assisté. Une salle remplie au deux tiers seulement a salué les artistes qui ont fait honneur à Verdi et a ovationné la touchante Agathe Martel pour sa ravissante prestation. Bien sûr, nous aurions aimé plus d'homogénéité dans cette distribution, mais nous avons été comblé par la présence de cette artiste attachante.
 
 
 

RÉAL BOUCHER
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