C O N C E R T S 
 
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MONTPELLIER

29/07/02


Miah Persson (Almirena, à gauche), Vivica Genaux (Rinaldo, au milieu)
Lawrence Zazzo (Goffredo)
Photos : Marc Ginot/Innsbrucker Festwochen
Rinaldo

Opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel
Livret d'Aaron Hill et Giacomo Rossi
Créé le 24 février 1711 au Queen's Theater de Londres

Mise en scène : Nigel Lowery et Amir Housseinpour

Rinaldo : Vivica Geneaux
Armida : Inga Kalnar
Almirena : Miah Persson
Argante : James Rutherford
Goffredo : Lawrence Zazzo
Eustasio : Christophe Dumaux
Le Mage chrétien /un héraut : Dominique Visse

Freiburger Barockorchester
Direction : René Jacobs

Représentation du lundi 29 juillet 2002
à l'Opéra Comédie de Montpellier



On se réjouissait en ce soir de juillet en se rendant à l'Opéra comédie de Montpellier.
Au programme, un des plus beaux ouvrages de Haendel, celui-là même qui marqua son entrée triomphale dans la vie musicale londonienne . Le chef ? Un spécialiste de ce répertoire : témoin sa superbe Agrippina au théâtre des Champs-Elysées en 2000, et son enregistrement de Jules César au sommet de la discographie. La distribution ? Des plus prometteuses, avec dans le rôle-titre une cantatrice présentée comme une nouvelle Diva. Oui, l'on pouvait s'attendre à vivre une soirée lyrique excitante, voire mémorable. 

Mémorable, elle le fut, hélas ! On n'oubliera pas de sitôt un désastre pareil !
Jugez plutôt : au lever du rideau, le cadre de scène est occupé par un mur rouge sur lequel l'effigie géante d'un soldat en treillis, mitraillette au poing, fait songer à une publicité pour un improbable Rambo V. Sauf que le soldat a la tête de Ken, l'ami de Barbie. D'ailleurs au deuxième acte nous aurons droit, sur fond bleu cette fois, à la poupée blonde et sexy, un revolver à la main. Rinaldo et Almirena, sans doute ? Passons sur la fenêtre qui s'ouvre, dévoilant un théâtre de Guignol avec des marionnettes qui se tapent dessus.

Le mur rouge disparaît, laissant place à un hémicycle tapissé de motifs fleuris rose et vert du meilleur goût. Au centre, une bâtisse couleur parme avec un clocher orné de haut-parleurs est placardée de manuscrits en arabe : on suppose que ce monument ridicule - sorte d'église relookée en mosquée- est censé représenter Jérusalem aux mains des Musulmans. En effet, au tableau final, manuscrits et haut-parleurs s'effondrent. Une croix apparaît sur le clocher, à la fenêtre, une Vierge à l'enfant, échappés d'une crèche vivante. Trois figurants habillés en Rois Mages, façon Les Inconnus, s'engouffrent dans l'édifice...

Revenons au premier acte : Rinaldo, on s'en serait douté, est en G.I. avec une barbe de deux jours, c'est tellement plus viril ! Almirena porte une mini-robe de mariée avec voile et couronne de fleurs sur la tête. Elle chante "Combatti da forte" entourée d'un groupe de donzelles qui se livrent à une gestuelle grotesque en comparaison de quoi les chorégraphies des Clodettes, dont elles ont un peu l'allure, étaient du très grand art ! De plus, ces délicieuses créatures gloussent joyeusement juste avant le da capo. Ensuite arrive Argante, djellaba et veste blanches, petits mocassins marron et, sur le crâne, un torchon de cuisine à gros carreaux noirs et gris qui évoque vaguement le foulard palestinien. Pendant l'aria de Goffredo, les Clodettes apportent une télévision et filment le chanteur dont l'image apparaît à l'écran (tiens, cela ne vous rappelle rien ?) Argante est très en colère, il arrache l'antenne : neige, puis, ô miracle, le visage d'Armida emplit la lucarne, juste avant son entrée. Bon sang, mais c'est bien sûr, c'est une magicienne ! En complet veston noir, elle ressemble à l'héroïne de Chapeau melon et bottes de cuir. Soudain elle agite devant les spectateurs médusés une boîte de Friskies dont elle répand le contenu sur le sol, et tandis que le pauvre Argante, à quatre pattes, mange les croquettes avec application, elle lui passe autour du cou une laisse pour chien. 

Au tableau suivant, Almirena se saoule au whisky pendant l'aria "Augelletti che cantate". Après elle offre ce qui reste dans la bouteille à Rinaldo. Tous deux terminent leur superbe duo "Scherzano sul tuo volto" en titubant comme des fêtards sortant d'une boîte de nuit. Tout à coup un canari géant, sorte de Titi (sans Gros Minet) enlève la pauvre jeune fille !
A la fin de l'acte, Eustasio habille Goffredo et Rinaldo respectivement en évêque et sacristain, puis des enfants de choeur surgissent et gesticulent comme les Clodettes du début ! 

Faut-il vraiment continuer ?
On se bornera à citer pêle-mêle les sirènes aux seins nus qui s'agitent autour de Rinaldo, la Mercedes coupée en deux sur fond de soleil couchant et, comble du raffinement, la tête monstrueuse d'une poupée gonflable, la bouche béante, projetée en gros plan derrière Armida qui tente d'interpréter dignement "Vò far la guerra" avec des mains postiches démesurées.
Au trois, un kamikaze cagoulé, des bâtons de dynamite autour de la taille, explose, laissant sur le plateau ses deux pieds sanguinolents. Sur un écran, nous pouvons voir des Playmobils assaillir une forteresse et aussi quelques monstres issus d'un mauvais dessin animé japonais. Auparavant, un âne (un vrai !) traverse la scène : sur son dos le petit missile des Musulmans ; de leur côté les Clodettes apportent l'énorme missile des Chrétiens... Vous l'avez compris, ceux qui ont le plus gros seront vainqueurs ! ..Et ceux qui aiment Haendel auront du mal à réfréner leur envie de hurler "Assez !"

Haendel, justement, on avait bien failli l'oublier dans tout ce fatras! Faut-il que les metteurs en scène aient jugé sa musique ennuyeuse et dépourvue d'intérêt pour en distraire le spectateur avec tant d'acharnement et déclencher l'hilarité au moyen de gags stupides et vulgaires même au beau milieu des scènes dramatiques et des airs de déploration. Comment garder en effet une oreille objective quand l'oeil est agressé de la sorte ? 

Disons-le d'emblée cependant, Vivica Genaux a déçu. Le rôle dépasse-t-il ses moyens ? Nous sommes loin, en tout cas, de la merveille annoncée : la voix, souvent dans les joues, est à court de projection, le timbre a paru bien mat et certains graves fort disgracieux. Enfin, la cantatrice a une façon étrange de vocaliser qui évoque les improvisations des chanteuses de jazz. Quant à l'expression, elle est proche du néant, mais encore une fois, avec un tel environnement... N'empêche, la comparer à Bartoli, voire à Horne ( !) relève de la supercherie pure et simple. Son "Or la tromba" est l'un des plus calamiteux jamais entendus avec en prime des trompettes fausses et un tempo pour le moins déroutant.

Mais qu'est-il arrivé à René Jacobs ? Etait-il donc troublé à ce point par ce qu'il avait sous les yeux ? Toujours est-il qu'il nous a gratifié d'une direction parfois sèche, souvent brutale, et totalement dépourvue d'émotion, à des années-lumières de ses Haendel précédents.
Point d'émotion non plus dans le chant de Miah Persson, qu'on a entendue bien plus impliquée ailleurs. Peut-on vraiment lui en vouloir ? On l'a obligée à chanter le somptueux "Lascia ch'io pianga", l'un des sommets de la partition, couchée par terre, coiffée et maquillée comme une héroïne des Feux de l'amour, affublée d'une queue de sirène vert fluo et faisant des oeillades d'un goût discutable à Argante...


Miah Persson (Almirena, au milieu)
Photo : Marc Ginot/Innsbrucker Festwochen

James Rutherford a, certes, des moyens importants, mais sa voix encore mal dégrossie est privée de nuances. Ses vocalises, en particulier dans son air d'entrée, sont bien laborieuses.
Inga Kalnar ne manque ni de personnalité, ni d'abattage, elle incarne avec une conviction méritoire la sulfureuse Armida. Sa grande scène à la fin du deux, dramatiquement idoine, convainc, mais ne saurait faire oublier les stridences qui avaient entaché son air d'entrée.

Les trois contre-ténors en revanche n'appellent que des louanges.
Imperturbable, Dominique Visse campe le mage chrétien avec sa truculence coutumière, mais pourquoi donc l'a-t-on accoutré comme un mandarin chinois ?


Dominique Visse (à gauche), Christophe Dumaux (Eustazio, milieu),
Lawrence Zazzo (Goffredo)
Photo : Marc Ginot/Innsbrucker Festwochen

L'Eustasio du tout jeune Christophe Dumaux capte l'attention durablement : présence indéniable, timbre séduisant, sa ligne de chant est impeccable, malgré les sacs à dos et autres valises qu'il est contraint de porter en permanence.

Depuis l'Agrippina du Théâtre des Champs-Elysées, Lawrence Zazzo ne cesse de confirmer les espoirs qu'on avait alors placés en lui. Son Goffredo a toute l'autorité requise, la voix agréable et homogène possède une technique solide qui lui permet de triompher d'une partie souvent ardue. De plus, il évolue avec aisance et réussit à n'être jamais ridicule, un exploit !

En guise de conclusion, rappelons une anecdote célèbre : en 1952, à Florence, alors qu'elle répétait une autre Armida (celle de Rossini), la jeune Maria Callas s'émut de voir des danseurs évoluer autour d'elle pendant le terrifiant "D'amor al dolce impero". Elle s'interrompit et demanda qu'on supprime ce ballet qui la gênait pour chanter. Et elle obtint gain de cause. Pour ce genre de réaction elle fut rapidement taxée de capricieuse. Et pourtant...Si les solistes de ce Rinaldo avaient eu de tels "caprices", n'auraient-ils pas fait oeuvre de salubrité publique ?
  


Christian Peter
(Dominique Vincent)
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