La première de Rinaldo
a enfin pu avoir lieu à la Scala avec 24 heures de retard, suite
à la grève du 2 avril, date à laquelle le maestro
Muti annonçait qu'il démissionnait.
On ne peut pas dire que l'opéra
baroque en langue italienne attire le public milanais. On imagine qu'un
Verdi ou un Puccini ne laisserait pas les premier et deuxième balcons
aux trois quarts vides comme ce fut le cas pour Rinaldo. Et la centrale
de réservation des autres représentations est loin d'afficher
complet. Il y avait plus de monde pour la première de Giselle
la veille.
Il faut dire que sortir de Milan pour
se perdre dans une zone industrielle offre moins d'attraits que la "maison
mère" du centre ville, même si le Théâtre degli
Arcimboldi offre les garanties d'un auditorium moderne, à commencer
par la visibilité et l'acoustique.
Fidèle à lui-même,
Pier Luigi Pizzi signe un Rinaldo baroque à souhait. Ses
personnages sont juchés sur des piédestaux que des figurants
poussent, tirent ou font tourner. D'autres figurants sont chargés
d'agiter les capes de nos héros. A deux ou trois figurants par piédestal
et par cape, on imagine aisément le nombre de personnes qu'il a
fallu engager pour cette production. Quand plusieurs personnages sont en
scène, les déplacements doivent être parfaitement réglés
pour éviter les heurts d'"autos tamponneuses"et rendre les mouvements
aussi fluides que possible. Une logistique assez lourde mais bien en place.
Les costumes colorés et les décors à colonnades et
grille centrale sont dans la plus pure tradition "pizzienne".
Deux belle sirènes apportent
une petite touche érotique, mais l'ensemble est de bon goût,
bien éclairé, très esthétisant, volontairement
maniéré.
Sur le plan musical, c'est un Rinaldo
sans contre-ténor et avec coupures. Si l'on décompte l'entracte,
il peut tenir sur deux CD. Pour les fanatiques de Haendel, c'est un peu
dommage que certains airs soient passés aux oubliettes. Ce reproche
étant fait, la direction d'Ottavio Dantone adopte des tempi
justes et sait rester attentive aux chanteurs.
Si l'on excepte les seconds rôles,
bien tenus, ne restent réellement sur scène que cinq personnages.
Côté masculin, le ténor Tomislav Muzek déçoit
un peu en Goffredo. On aimerait une vocalisation plus sûre et une
voix mieux projetée.
Heureuse surprise, par contre, que
la basse Mark Steven Doss, Argante dont la partie est loin d'être
facile. Le timbre n'est pas extraordinaire mais l'interprète a du
mordant, du souffle et une ligne de chant intéressante.
Chez les femmes, Darina Takova campe
une magicienne plausible scéniquement et un peu en retrait vocalement.
Il lui manque cet aplomb, cette projection insolente qui emportent totalement
l'adhésion. Annick Massis interprète une Almirena musicale
et sensible; la soprano sait prendre des risques quand il le faut : un
ravissant aigu tenu à la fin de son dialogue avec les oiseaux, ou
un beau phrasé sur le souffle dans "Lascia ch'io piango" pour ne
citer que deux exemples. Quant au rôle-titre, Daniela Barcellona
en offre une incarnation équilibrée. Virtuose ou retenue
(émouvant "Cara sposa"), la mezzo n'extrapole pas des cadences folles
comme d'autres interprètes avant elle, ou comme elle-même
a pu le faire dans le passé. L'aigu n'est pas trop sollicité,
pas d'incursion dans le grave comme dans sa Semiramide romaine, mais un
portrait convaincant quoique sage du héros du Tasse.
Lors des saluts, mal réglés
il faut le dire, quelques spectateurs quittent déjà la salle.
Est-ce à dire qu'un Haendel, même coupé, est trop long
pour certains ?
Valéry FLEURQUIN