Les opéras de Haendel sont décidément
un matériau idéal pour metteurs en scènes curieux
et imaginatifs. Les livrets permettent des transpositions originales qui
emportent très souvent l'adhésion publique et critique et
la beauté des arias inspirent souvent des visions esthétiques
très réussies. Par contre, un metteur en scène peu
inspiré peut y sombrer corps et biens. Le désastre d'Ariodante
à Garnier (rattrapé à peine par Minkowsi et von Otter)
la saison dernière en est la preuve.
Par bonheur, la mise en scène
de Jean Marie Villegier, réalisée pour le festival de Glyndebourne,
nous comble d'une vision originale et prenante. Il profite d'un argument
compliqué tiré d'un drame de Corneille, rempli de trahisons,
d'intrigues et de coups de théâtre pour nous faire replonger
dans un univers proche du cinéma muet, des films de von Stroheim
ou W. Griffith. Il y réussit en apportant un style en baignant le
plateau d'une lumière blafarde, au même titre que le maquillage
des chanteurs. En ajoutant une gestuelle et une expressivité des
visages exacerbées et le tour est joué. Et ça marche
! Les plus de trois heures de musique passent sans que l'on s'en aperçoive.
Villegier se permet même quelques moments d'humour qui ne sont pas
forcément évidents à trouver dans le livret. Par ces
choix artistiques, le travail de Villegier se rapproche de celui de Mac
Vicar dans Agrippina avec peut être un petit moins d'imagination
et d'élégante irrévérence.
Les interprètes, pour la plupart
ceux de la création de Glyndebourne, forme une équipe totalement
acquise à la cause du metteur en scène et cela se voit sur
le plateau. Côte musical, la distribution est dominée par
Anna-Caterina Antonnaci, dont le beau timbre charnu s'accompagne d'une
interprétation très " Gloria Swenson " et Andreas Scholl,
à l'excellente projection et capable de nuances vous donnant le
frisson. Notons également la très bonne musicalité
de Kurt Streit. Les autres interprètes sont certainement moins remarquables
musicalement mais leur engagement dramatique est total.
La direction de William Christie est
claire nette et précise, sachant mettre en valeur la beauté
du chant haendelien. On aurait peut être aimé ici et là
un petit peu de relâchement ou de fantaisie comme ont déjà
su le faire Minkowski ou Jacobs (dans Agripinna tout particulièrement).
Mais le chef ne démérite pas, bien au contraire et tient
une large part dans la réussite de ce travail d'équipe.
Avec la venue de Rodelinda et
de Fidelio (un spectacle tout aussi intéressant mais ô
combien différent), le festival de Glyndebourne a démontré
son goût de la diversité, de l'ouverture d'esprit et du travail
d'équipe. Cela faisait vingt ans que Paris ne l'avait pas accueilli.
Souhaitons de tout coeur qu'il ne faudra pas attendre de nouveau vingt
ans pour assister à son retour.