Au Metropolitan Opera de New York,
on reconnaît une authentique diva (ou un vrai divo) à ce que
la maison monte des ouvrages rien que pour elle, sûre de remplir
sur son nom (le théâtre n'étant pratiquement pas subventionné,
il ne peut pas se permettre de faire fi des voeux du public et encore moins
de ceux de ses sponsors).
Renée Fleming peut revendiquer
fièrement ce statut : après Il Pirata en 2002, le Metropolitan
monte en effet pour elle cette Rodelinda, effort d'autant plus louable
que les ouvrages de Haendel n'y sont pas fréquents ; leur liste
se limite à Rinaldo (pour Marilyn Horne il y a 20 ans), puis
Samson
(pour Jon Vickers) et, enfin, Giulio Cesare.
Les spectacles montés dans de
telles conditions ne sont habituellement pas fastueux ; cette fois, le
théâtre new-yorkais n'a pas lésiné sur les moyens,
signe que les choses changent pour Haendel à New-York (une reprise
est d'ailleurs déjà programmée d'ici deux ans).
La production de Stephen Wadsworth
tranche avec ce qu'on a l'habitude de voir lorsque sont mis en scène
des ouvrages baroques : en dépit d'une légère transposition
(à l'époque de Haendel, c'est-à-dire un petit millier
d'années plus tard), le parti pris général est plutôt
réaliste.
Une bibliothèque élisabéthaine,
des étables (et un vrai cheval qui emporte John Relyea), un jardin,
une chambre somptueuse... Tous ces lieux, exécutés en durs,
s'enchaînent sans solution de continuité : si un protagoniste
quitte la bibliothèque, le décor bouge avec lui jusqu'à
ce qu'il arrive dans le jardin ou plus loin dans les étables (du
point de vue du spectateur, le chanteur fait du sur place et ce sont les
décors qui se meuvent d'un bloc vers la gauche ou la droite). Nous
avons même droit "au coup de l'ascenseur" pour la visite en sous-sol
des prisons ! Hormis cet aspect spectaculaire, les décors, costumes
et éclairages évoquent plutôt le travail d'un Ponnelle.
La direction d'acteurs est intelligente, sans excès théâtraux
: Wadsworth réussit à nous rendre humains des personnages
un peu stéréotypés, c'est la principale qualité
de cette mise en scène.
Star de la soirée, Renée
Fleming aborde Rodelinda avec ses qualités et défaut habituels
: beaucoup d'investissement personnel, des variations inventives, une ligne
de chant parfaite et des aigus généreux. Au passif, on retrouvera
le même maniérisme : ports de voix "jazzy" sortis de Porgy
and Bess, notes prises un peu bas pour renforcer l'effet dramatique et
une tendance à surjouer chaque mot, un peu fatigante à la
longue ; on aimerait fois un peu plus de simplicité et de naturel.
Des réserves sans doute mineures pour qui n'entend pas cette chanteuse
trop régulièrement.
Kobie van Rensburg n'est pas en reste
en termes d'engagement dramatique. Sur le plan vocal, c'est une autre affaire,
malgré des vocalises impressionnantes : le chanteur s'essouffle
vite, écorchant pas mal de notes. Enfin, son timbre très
particulier ne fait pas nécessairement l'unanimité.
Stephanie Blythe continue de marcher
sur les traces de Marylin Horne, avec une voix plus projetée toutefois
que celle de son illustre devancière. Vocalises impeccables, registre
étendu et voix riche en harmoniques, c'est absolument magnifique.
La voix de David Daniels m'a semblé
avoir quelque peu évolué ces dernières années
: le chanteur a gagné en volume et en projection, mais l'émission
est un peu moins cristalline ; dramatiquement, son Bertarido est d'une
grande force émotionnelle, culminant dans la bouleversante scène
de la prison.
Bejun Mehta se hisse au même
niveau, avec une voix plus pure qui contraste à merveille avec celle
de son collègue : là aussi, un chant quasi parfait.
Plus en retrait, John Relyea vaut surtout
par sa prestance et son aptitude à monter à cheval.
Augmenté de quelques instruments
anciens, l'orchestre du Metropolitan sait presque se transformer en formation
baroque (disons qu'il se rapproche de la sonorité de l'Ensemble
Orchestral de Paris, avec des couleurs un peu plus variées).
La direction de Harry Bicket est à
l'écoute du plateau, élégante et vive, mais manque
parfois un peu de mordant.
Pour finir, un coup de chapeau au théâtre
lui-même : y a-t-il d'autres salles de cette dimension dont l'acoustique
s'adapte aussi bien à Wagner qu'à Haendel ?
Placido Carrerotti