Que connaît-on de Donizetti ?
Lucia di Lammermoor, l'Elisir d'amore, Don Pasquale, la Favorita auxquels
les plus érudits ajouteront Lucrezia Borgia, Anna Bolena, Linda
di Chamounix et Roberto Devereux. Mais lorsque l'on sait que Donizetti
a écrit pas moins de 70 opéras, autant dire que cette Maria
di Rohan, jamais représentée à Genève auparavant,
était attendue avec impatience et curiosité. Et disons-le
sans ambages, sur le plan de la partition, on ne fut pas déçu.
Car c'est non seulement du Donizetti, mais du très bon Donizetti.
C'est à se demander comment il se fait que cette oeuvre n'apparaisse
pas plus souvent au programme des maisons d'opéras, car elle n'est
pas trop difficile à distribuer : comme souvent dans ces opéras
du XIXe siècle, il faut une soprano, un ténor, un baryton,
quelques petits rôles, un choeur et le tour est joué.
L'histoire, quant à elle, est
typique des opéras italiens romantiques. Jugez plutôt : un
ténor, nommé Riccardo, est follement amoureux d'une soprano
qui se trouve être la femme de son meilleur ami, un baryton. Les
deux s'aiment mais ne veulent pas déshonorer la soprano, raison
pour laquelle leur relation restera platonique. Le baryton sauve la vie
de son ami, puis, par hasard, découvre l'amour que celui-ci porte
à son épouse. Fou de jalousie et de douleur, il tue celui
qui était son ami. Vous avez dit "déjà vu" ? Tout
ça pour dire que l'intérêt dans ce spectacle était
avant tout musical. Et ce n'est pas la mise en scène, dépouillée
au possible, qui contredira mes propos. En guise de décors, deux
parois coulissantes blanches et un fond de scène tantôt bleu,
tantôt rouge, des costumes XIXe siècle (pour une histoire
censée se dérouler sous Louis XIII), bref pas grand-chose
à se mettre sous la pupille.
Restait la musique. On sait qu'entre
l'OSR et l'opéra italien, c'est loin d'être une histoire d'amour
et malgré toute la bonne volonté d'Evelino Pido, la sinfonia
nous laissa sur notre faim. Mais le chef italien se montra autrement plus
inspiré dès que l'on commença à chanter. Et
pour ce qui est des chanteurs proprement dits, on regrettera chez chacun
une trop grande retenue vocale. C'est propre, mais les chanteurs chantent
trop avec leurs têtes et pas assez avec leurs tripes. Malgré
cela, cette production aura permis au public genevois de découvrir
une soprano qui fera beaucoup parler d'elle ces prochaines années.
Alliant une voix magnifique à une technique sans faille et une musicalité
de tous les instants, Annick Massis, l'interprète du rôle
titre, aura été la grande triomphatrice de cette soirée.
J'aimerais pouvoir en dire autant de ses partenaires. Le baryton Stephen
Salters a une grande voix (quoi qu'un peu claire à mon goût),
mais est hélas incapable de prêter vie au personnage du Duc
de Chevreuse, jouant comme un pantin désarticulé et chantant
des notes au lieu de faire de la musique. Plus grave encore, le ténor
Octavio Abalero (remplaçant Raùl Gimenez, malade) essayait,
lui, de donner de la vie au personnage de Riccardo de Chalais, mais en
coinçant quasiment tous ses aigus et en étant souvent en
froid avec la justesse. Mais malgré ces bémols, cette Maria
di Rohan était néanmoins une pièce à écouter
absolument. Pour Annick Massis et plus encore pour Gaetano Donizetti.
Antoine Bernheim