Le Roi Roger de
Karol Szymanowski est une oeuvre assez rarement donnée, qui véhicule
(faussement) une réputation d'oeuvre difficile, peut-être
à cause d'un livret très allégorique, voire un peu
nébuleux. La musique en est pourtant fort belle, et même parfois
somptueuse.
À cause de cette réputation,
il fallait une vedette internationale de l'envergure de Thomas Hampson
pour appâter un public suffisamment nombreux. Hélas, après
l'annulation de Torsten Kerl en berger, le baryton américain déclarait
à son tour forfait pour le rôle-titre !
Cette défection a permis à
l'assistance d'apprécier la prestation de Wojtek Drabowicz, qui
n'est pas tout à fait un inconnu pour les habitués du Châtelet,
car il y a déjà interprété Verchinine dans
Les Trois Soeurs de Peter Eotvos.
Il est beaucoup plus difficile de se
faire une opinion d'un chanteur dans une oeuvre de ce type que dans un
opéra du répertoire courant. Néanmoins, la voix de
Wojtek Drabowicz semble réellement belle, timbrée, nuancée
et puissante ; à aucun moment la comparaison avec Thomas Hampson
ne lui a été défavorable.
Tel n'était hélas pas
le cas du berger remplaçant, Ryszard Minkiewicz, qui faisait pourtant
partie de la distribution du disque EMI, mais qu'on sentait bien peu à
l'aise dans ce rôle, même s'il en assurait toutes les notes.
Il faut avouer que la tessiture est redoutable, avec un ambitus énorme
et des intervalles difficiles. Mais surtout l'interprète doit avoir
un charisme, une luminosité, qui font totalement défaut à
Ryszard Minkiewicz, dont la voix sonnait bien grisâtre. Ce berger,
en fait Dionysos, doit transporter les foules, même en version de
concert. Ce ne fut pas vraiment le cas.
La reine Roxana de Tatiana Maria Pozarska
était très bien en situation, avec un joli timbre, de belles
nuances, des mélismes lors du deuxième acte particulièrement
raffinés, le seul défaut qu'on pourrait éventuellement
lui reprocher est sa façon bizarre d'attaquer les phrases. Sa voix
est également puissante, car tous les interprètes doivent
surmonter par moments une orchestration très nourrie, par moments
seulement, car on sent que le compositeur connaissait et aimait la voix
humaine, les paroxysmes sont fort bien menés et l'écriture
orchestrale s'allège pour toute phrase délicate ou importante
d'un chanteur.
Mais les grands triomphateurs de cette
soirée ont été l'orchestre et le choeur pour lesquels
le compositeur avait réservé sa meilleure inspiration, écrivant
des pages riches et colorées, et les exécutants sous la direction
de Jukka-Pekka Saraste, n'ont pas déçu : pâte somptueuse,
sonorité de velours, chatoiements raffinés, un véritable
régal.
Catherine Scholler