......
|
TOULOUSE
13/05/2008
La Maréchale : Martina Serafin / Octavian : Sophie Koch
© Patrice Nin
Richard STRAUSS (1864-1949)
Der Rosenkavalier
Comédie lyrique en trois actes de Hugo von Hofmannsthal (1911)
Nouvelle production
Coproduction Théâtre du Capitole/ Teatro dell’Opera di Roma
Mise en scène, Nicolas Joel
Décors, Ezio Frigerio
Costumes, Franca Squarciapino
Lumière, Vinicio Cheli
Die Feldmarschallin : Martina Serafín
Der Baron Ochs auf Lerchenau : Kurt Rydl
Octavian : Sophie Koch
Herr von Faninal : Eike Wilm Schulte
Sophie : Anne-Catherine Gillet
Jungfer Marianne Leimetzerin : Ingrid Kaiserfeld
Valzacchi : Andreas Conrad
Annina : Elsa Maurus
Ein Sänger : Ismael Jordi
Notar / Ein Polizeikommissar : Scout Wilde
Ein Wirt : Rémy Corazza
Orchestre National du Capitole
Choeur du Capitole
Directeur du choeur, Patrick Marie Aubert
Direction musicale, Jiri Kout
Toulouse, ce 13 mai 2008
|
Un art de vivre
Comment marier la carpe et le lapin ? C’est le problème que décidèrent d’affronter Strauss et Hofmannsthal et qui se pose aujourd’hui à qui veut porter leur Chevalier à la rose à
la scène. Trouver l’équilibre entre les
données d’une comédie dont les ressorts se trouvent
chez Molière et Beaumarchais et l’expression de sentiments
liés à la fragilité des humains, dont les
attachements sont soumis à l’inexorable fuite du temps,
n’est pas simple. Nicolas Joel, après trente ans de
carrière, s’y est risqué avec ses partenaires de
prédilection, et c’est un sans faute.
Les décors d’Ezio Frigerio,
une fois encore sobres et élégants, sont fonctionnels et
signifiants ; les hautes colonnes corinthiennes du palais de la
Maréchale se retrouvent chez le riche parvenu Faninal, si
entiché de noblesse. Là se borne la reconstitution :
ni couleurs ni accessoires décoratifs, à peine des
sièges différents. L’auberge est d’une
sobriété spartiate probablement liée à la
pingrerie du baron. Les lumières de Vinicio Cheli
s’accordent à la chronologie ou aux états des
personnages, quand l’intensité des émotions semble
suspendre le temps. Les costumes XVIII° siècle de Franca Squarciapino sont un régal, dont Sophie en poupée de Saxe n’est pas le moindre.
Octavian : Sophie Koch / Sophie : Anne-Catherine Gillet
© Patrice Nin
Respectueux à son habitude des intentions des créateurs, Nicolas Joel
se garde judicieusement d’actualiser l’œuvre, qui
n’en a nul besoin. Qui aujourd’hui ne se sent proche de ces
personnages, dans leur diversité ? Un malotru qui se croit
tout permis, un bourgeois enrichi prêt à tout pour une
alliance qui le flatte, une femme délaissée qui se
console avec un tout jeune homme, une jeune fille naïve conquise
au premier regard par un prince charmant, leurs prétentions et
leurs illusions sont les nôtres. Comme eux nous sommes
plongés dans la comédie sociale, comme eux fragiles parce
qu’également soumis à la fuite du temps. Alors
Nicolas Joel les laisse vivre, marquant sa présence en
plaçant auprès du négrillon un valet chargé
de le suivre pas à pas dans sa formation, par les scènes
d’animation des premier et troisième actes, par une
duègne sourcilleuse, un médecin légèrement
bizarre, et des fins d’acte composées comme des tableaux,
sans autre objectif que de s’accorder à la musique.
On connaît les beautés de la partition. Jiri Kout
mène l’Orchestre du Capitole sans jamais faiblir :
dès la première ouverture c’est vraiment
l’orgasme suggéré qui monte de la fosse. Volubile,
langoureux, narquois, l’orchestre soutient superbement
l’action scénique. Seul regret, le volume sonore dans le
dernier trio compromet la fusion des voix car il oblige les chanteuses
à forcer pour y résister.
Le plateau quant à lui est irréprochable, voire
exceptionnel. Pas la moindre faiblesse, même dans les plus petits
rôles, et pour les principaux des confirmations ou des
révélations qui enchantent. Pour ses débuts en
Sophie, Anne-Catherine Gillet dont on connaît la voix
homogène en ce théâtre où elle a
déjà chanté plusieurs fois s’impose
aussitôt, passant de l’éblouissement à la
révolte, puis à la gravité, exprimant
étroitement les émotions nuancées du personnage et
délivrant les aigus veloutés assortis à sa
douceur ; scéniquement aussi elle est ravissante et juste.
Mariandel : Sophie Koch / Le baron Ochs : Kurt Rydl
© Patrice Nin
Eike Wilm Schulte
campe quant à lui un Faninal à peindre, tout
empesé dans sa nouvelle dignité, obséquieux et
coléreux à souhait ; la voix est ferme et
sonore ; l’attitude scénique un peu empruntée
correspond probablement au statut du personnage, un homme encore mal
à l’aise dans ses habits neufs. Tout comme l’aisance
de Kurt Rydl est celle du
sans-gêne si habitué à s’imposer qu’il
en perd le sens des convenances ; on ne sait qu’admirer le
plus, de la performance d’un chanteur aux multiples campagnes
dont la voix est toujours aussi assurée et les graves toujours
plus profonds, ou de celle de l’acteur qui donne un naturel
saisissant à son déplaisant personnage sans toutefois le
rendre antipathique.
L’opulence de la voix de Martina Serafin
est telle qu’on est presque tenté, peut-être
influencé par d’autres approches, de regretter
qu’elle ne soit pas un peu plus fragile, en ce premier acte
où son personnage se réveille en état de
vulnérabilité ; mais l’éclat de la voix
et de l’interprète ont la séduction qui a
subjugué Octavian, la plénitude sensuelle de la femme
épanouie que les longues absences d’un mari probablement
épousé sans amour amènent à trouver
discrètement des compensations. L’image voulue par Nicolas
Joel à la fin du premier acte, lorsqu’elle est seule,
révèle cette fragilité. Au troisième acte,
son apparition est l’image de la dignité et de la grandeur
d’âme ; en cet instant où la Maréchale
met ses actes en accord avec ses pensées de la veille, Marina
Serafin trouve exactement les accents de la grâce et de la vraie
noblesse.
Dans le rôle-titre, enfin, Sophie Koch.
Par où commencer pour tresser la guirlande de lauriers
qu’elle mérite ? Son Octavian est simplement
prodigieux, rempli de ce charme androgyne qui a séduit sa
maîtresse, si revenue de la suffisance et de
l’égoïsme des hommes faits. L’aisance
scénique est connue, l’aisance vocale aussi, mais ces
qualités semblent atteindre de nouveaux sommets : fougue,
élan, densité du registre grave,
homogénéité parfaite, longueur du souffle,
c’est une artiste en pleine possession de moyens exceptionnels
qui s’offre généreusement, superbement, jusque dans
la saveur espiègle de la godiche Mariandel.
On ne voit pas le temps passer. Ce thème dramatique était
ce soir là une heureuse réalité pour les
spectateurs : au rideau final ils ovationnèrent sans
trêve les artistes. Quelle splendide réussite !
Maurice SALLES
|
|