Après
l'offensive wagnérienne de la Walkyrie avec Domingo et Meier
en mars, et avant La Favorite programmée en avril, le Teatro
Real proposait un concert dans lequel un "vétéran" rossinien
parrainait un jeune espoir du chant espagnol. Ces deux interprètes
ont déjà chanté ensemble dans la production du Viaggio
a Reims à La Corogne et à San Sébastien l'été
dernier. Pesaro est aussi un autre de leurs points communs, mais le ténor
américain s'y produit depuis 1983 alors que la jeune soprano n'y
est intervenue qu'une fois.
Il faut saluer l'effort qui consiste
à proposer un programme hors des sentiers battus et à donner
les airs dans leur intégralité, qui plus est avec la participation
du choeur chaque fois qu'elle est requise. Après une ouverture de
Tancredi
assez incolore, Mariela Cantarero ouvre le feu avec l'air d'Elisabetta,
regina d'Inghilterra "Sento un'interna voce". De beaux
piani,
une bonne technique du souffle compensent des aigus un rien acides. Rockwell
Blake prend le relais avec l'air de Zelmira "Terra amica". Le médium
et les graves ont du mal à passer la rampe, bien que le Real ne
soit pas une salle immense et que l'acoustique y soit plutôt flatteuse,
le timbre a toujours eu ses détracteurs et le chef a tendance à
couvrir le soliste. Ces réserves
étant faites, son interprétation
s'avère une prouesse technique et le souffle semble inextinguible
quand il monte au contre-ré dans la cadence. Le concert se poursuit
avec l'air d'Amenaide "Gran Dio", interprété avec musicalité
et émotion par la soprano originaire de Grenade. Un duo conclut
la première partie : il s'agit du duo Elisabetta/Norfolk "Colmo
di duol" dans lequel Cantarero montre une certaine autorité dans
l'accent, malgré son jeune âge. L'équilibre entre les
deux voix est satisfaisant.
Après l'ouverture de La gazza
ladra, plus convaincante, Blake se lance avec un enthousiasme communicatif
dans l'air d'Alberto de L'occasione fa il ladro. Ce qu'il fait sur
le si bémol final ("libertà") est littéralement
inouï : qui peut attaquer ainsi forte cette note, la réduire
au pianissimo et reprendre le crescendo jusqu'à la dernière
mesure de l'orchestre, le tout dans un seul souffle ? Un tour de force
rendu possible par une technique prodigieuse. Cantarero exécute
ensuite l'air d'Adèle du Comte Ory "En proie à la
tristesse" qu'elle chantait quelques jours auparavant en italien dans la
production barcelonaise du Viaggio a Reims. La voix est égale sur
toute la tessiture et l'interprète s'efforce de proposer des variations
originales dans les reprises. Là encore on pourra regretter que
le contre-mi bémol dont elle gratifie la cadence entre les deux
strophes de la cabalette (mais qu'elle ne reproduit pas à
la fin) soit un peu agressif et manque de rondeur. Le ténor américain
enchaîne avec un "Cessa di piu resistere" d'anthologie ; que dire
qui n'ait déjà été dit sur son morceau de bravoure
? Le concert s'achève officiellement avec le duo Adèle/le
comte Ory "Ah ! Quel respect, madame" dans lequel les deux interprètes
font assaut d'entrain, mais ont tendance à en rajouter dans les
mimiques pour compenser l'absence de mise en scène. Concernant les
bis, le public est resté sur sa faim puisqu'il s'attendait à
quelques morceaux brillants, mais s'est vu proposer deux duos lents tirés
de L'occasione impropres à déchaîner le délire,
mais idoines pour sortir du théâtre assagis. Il faut avouer
que les deux interprètes en on fait des tonnes et se situaient à
la limite du cabotinage. Ceci n'enlève rien à un concert
intéressant, à bien des égards.
Il faut souhaiter que la jeune Mariela
Cantarero (programmée dans rien moins que Don Pasquale à
Rome, Lakmé à Oviedo, La Sonnambula à
Florence ou I Puritani à Las Palmas) tienne ses promesses
et puisse chanter aussi bien que Rockwell Blake après 25 ans de
carrière.
Valéry Fleurquin