Double événement à
l'opéra de Lyon, qui nous présentait une production du trop
rare Rusalka sous la direction très attendue du nouveau directeur
musical Ivan Fischer. L'histoire est celle d'une fée de l'eau désirant
se changer en humaine pour l'amour de l'Homme. Mi-femme, mi-créature,
cet amour ne pouvait être qu'impossible et le dénouement autre
que dramatique, nous rappelant ainsi un autre travestissement, celui rapporté
par Fassbinder dans son Année des Treize Lunes, où un homme
se change en femme pour conquérir l'amour, finissant par errer dans
la peau d'un monstre solitaire.
La partition de Dvoràk révèle
une musique lyrique et chatoyante, toute emprunte de magie et de sensualité
comme l'exige le livret de ce conte, tiré en grande partie de La
Petite Sirène et d'histoires populaires tchèques. La force
de cet opéra réside essentiellement dans cette musique sans
faille, parfaitement adaptée aux caractères des personnages
et circonstances dramatiques.
Cependant, pour qui garde en mémoire
la splendide exécution de Charles Mackerras au disque, la magie
parait bien absente de la fosse. La direction précise d'Ivan Fischer
reste trop analytique et trop sèche. Il ne tire en effet pas grande
suavité de l'orchestre de l'opéra au point de se demander
où sont passées les cordes. De la même manière,
on souffre de l'absence de couleurs et d'ampleur sonore, le tout manquant
singulièrement de passion et d'inspiration.
Sur le plan vocal, la soirée
reste malheureusement marquée par la mauvaise impression que nous
laisse Klaudia Dernerova. La voix est dure, tendue, la justesse approximative
et la ligne de chant trop souvent malmenée par des problèmes
techniques qui laissent interrogateur sur la présence de cette chanteuse
dans le rôle titre. Bien qu'éprouvé par le temps, le
chant de Francisco Araiza conserve la noblesse et la prestance qui sied
au rôle du prince. Les aigus sont certes devenus difficiles, mais
le timbre chaleureux lui permet de convaincre.
S'il manque parfois de menace en Maître
des eaux, le Vodnik de Ludek Vele émeut en père blessé,
montrant que son personnage est paradoxalement le plus humain de l'histoire.
Sa complainte du second acte demeure un des plus beaux moments de la soirée.
Mzia Nioradze et Hedwig Fassbender campent une sorcière et une princesse
de bon aloi et ne manquent ni d'autorité vocale ni de présence
scénique.
Tous les seconds rôles sont très
bien servis, en partie par les artistes en résidence à l'Opéra
de Lyon. Notons les belles prestations de Karine Deshayes en marmiton et
de Virginie Pochon (qui fut une si jolie Juliette la saison dernière)
en première Dryade. Le choeur également, fidèle à
son habitude, est de tout premier ordre.
À cette soirée bien fade
musicalement, se substitue le très beau spectacle réglé
par Jean-Claude Berrutti. Dans des décors simples et évocateurs,
il tire seul le peu d'émotion qu'il reste de ce spectacle. Se jouant
du peu d'action se déroulant réellement sous nos yeux, sa
direction d'acteurs est efficace et sa mise en scène respectueuse
de l'atmosphère de l'oeuvre.
En définitive on sort retrouver
le froid extérieur en grande partie déçu, par une
interprète peu à sa place et un orchestre terni qui semble
s'ennuyer. Les prochains rendez-vous avec Ivan Fischer (on attend les Wagner
et les Strauss promis) nous éclaireront d'avantage sur ses affinités
avec les forces de l'Opéra de Lyon.
Loïc LACHENAL