On sait depuis Bruno Betthelheim que
les contes de fée ne sont pas si innocents qu'ils en ont l'air.
Toutefois, considérer leur seule dimension psychanalytique peut
être aussi réducteur que de n'en voir que la dimension féerique.
C'est le travers dans lequel est tombé Robert Carsen pour cette
nouvelle production de Rusalka. A force de trop vouloir démontrer,
le metteur en scène présente un spectacle rempli d'images
superbes, mais aux intentions par trop didactiques, et même parfois
pas très loin de la psychanalyse de comptoir.
Mais reprenons du début. Le
rideau se lève sur un décor époustouflant : à
mi-hauteur de la scène se trouve une chambre avec bien sûr
un lit, et pas n'importe quel lit, un lit matrimonial à deux places,
avec tables et lampes de chevet de chaque côté. Cette chambre
se reflète vers le bas comme si elle se trouvait au-dessus de l'eau,
eau présente dans un bassin sur scène, et dans laquelle pataugeront
gaiement les nymphes, l'Ondin et Rusalka (pourvu qu'ils n'aillent pas nous
attraper un rhume !).
Le monde des humains est en haut,
celui des ondines au fond de l'eau d'où elles peuvent nous observer
en levant la tête : c'est éblouissant. Quand Jezibaba donne
à Rusalka la possibilité de rejoindre le monde des hommes,
la chambre entière descend au niveau du sol pour que l'héroïne
puisse y pénétrer. Encore une image à couper le souffle.
Mais à partir de là,
les choses se gâtent : on avait repéré une rose rouge
posée sur le lit, on espérait que Carsen ne nous ferait pas
le vieux coup du symbole de la rose, c'est pire : il en fait un fil conducteur
!
Rose respirée par Rusalka allongée
sur le lit, tripotée négligemment puis abandonnée
par le prince, répandue plus tard à foison tout autour du
litÖpour ceux qui n'ont pas compris, achetez donc " la psychanalyse expliquée
à ma grand-mère ", ça doit s'y trouver dans les trois
premières pages.
Continuant dans le symbolisme, le
prince, habillé comme l'Ondin, c'est à dire le père
de Rusalka, défait le lit et s'y installe, attendant l'héroïne
qui revêt une robe de mariée. Aie, aie, aie !
Et puis, on oublie son agacement quand
l'acte deux débute avec une image de nouveau sublime : la même
chambre, mais reflétée en miroir, des deux coté de
la scène. Dans chaque partie, Rusalka et la princesse étrangère
évolueront parallèlement, avec des gestes conquérants
pour la princesse, avec des gestes de désespoir pour Rusalka.
Et de nouveau, la douche froide, sous
forme d'un ballet dont la chorégraphe ne doit pas être Philippe
Giraudeau mais mon ancienne copine Fanfan, celle qui s'occupait du groupe
femme au milieu des années 1970, et dont le sens profond est : "
tous les hommes sont des cochons, jeunes filles gardez votre pucelage ".
Suite à ça, l'Ondin retrouve Rusalka bien plus terrifiée
à l'idée de s'approcher du prince que désespérée
parce qu'il l'abandonne (vu comment elle réagit, ça devrait
même plutôt la soulager !)
L'acte deux se termine de nouveau sur
une idée belle et forte : les deux parties de la chambre se séparent,
l'une avec le prince et la princesse étrangère, l'autre avec
l'Ondin et Jezibaba, vêtus de la même façon, Rusalka
reste seule au milieu, dans le néant.
Un peu secoué par cette alternance
de merveilles et de déceptions, on se demande à quelle sauce
va être accommodée l'acte trois. La réponse est : exactement
la même douche écossaise !
Un début magnifique, avec Rusalka
seule au milieu d'une eau noire et glacée, moirée de reflets
bleu sombre. Mais Jezibaba a l'idée d'apparaître couchée
dans le lit de l'éternelle chambre jonchée de roses rouges,
vue de haut cette fois, et on se remémore la mise en scène
du songe d'une nuit d'été d'Aix-en-Provence qui avait révélée
Robert Carsen, dans laquelle on voyait des lits verts et blancs sous toutes
les coutures. Rien n'a finalement beaucoup changé entre les deux.
Et on espère ne pas avoir un quatrième angle de vue de cette
maudite chambre, sous peine de nausée !
On la retrouvera pourtant encore une
fois, dans la même disposition qu'à la fin de l'acte un, pour
les retrouvailles du prince et de Rusalka, sous un éclairage qui
donne une impression de flou. On se croirait dans une photo de David Hamilton
!
Bien entendu, il faut savoir faire
la part des choses, et ce travail réalisé par Robert Carsen,
même irritant, est plastiquement beau, intelligemment pensé,
et n'a rien a voir avec les abominations et les escroqueries qu'on subit
quelquefois sur les scènes d'opéra. D'ailleurs la majorité
des spectateurs ont aimé et applaudi cette mise en scène.
D'autant plus que vocalement, c'est
la fête ! Somptueux, c'est le seul mot qui vient à l'esprit
en repensant aux voix entendues hier : les nymphes de Michelle Canniccioni,
Svetlana Lifar, Nona Javakhidze, l'Ondin de Franz Hawlata sont magnifiques
de bout en bout, Renée Fleming et Larissa Diadkova ont dépassé
depuis longtemps le stade des superlatifs. Face à eux, Eva Urbanova
a paru surtout soucieuse de décibels et pas toujours très
juste.
Deux petits mots de réhabilitation,
l'un pour Sergei Larin, dont on lit souvent qu'il n'est pas nuancé.
Son chant a été au contraire plein de belles intentions et
de raffinement, l'autre pour James Conlon, dont la direction sonnait adéquate
et colorée.
Catherine Scholler