L'oeuvre d'Antoine Mariotte n'aura
pas laissé un souvenir impérissable et c'est à peine
si son nom est cité dans les manuels d'histoire de la musique. On
saura donc gré à René Koering de nous proposer son
premier opéra dont la création fit couler beaucoup d'encre
au début du siècle dernier. Né en Avignon en 1875,
Mariotte s'inscrit à l'Ecole navale à l'âge de 16 ans.
Mais sa véritable vocation est la musique, c'est pourquoi il démissionne
de la Marine en 1897. Il entre à la Schola Cantorum où il
reçoit l'enseignement de Vincent d'Indy. En 1902, il est nommé
professeur au conservatoire de Lyon. C'est là qu'il décide
de mettre en musique la Salomé* d'Oscar
Wilde. Il s'adresse donc aux ayants droit du dramaturge anglais, obtient
leur accord, et se met au travail. A la même époque Richard
Strauss découvre à son tour la pièce et demande à
Fürstner, son éditeur, d'en acquérir les droits. Seulement
voilà, la succession de Wilde, fort complexe, donne lieu à
un procès gagné par les ayants droit contactés par
Fürstner. Aussitôt, celui-ci fait interdire toute représentation
de la partition de Mariotte tandis que celle de Strauss est créée
en 1905. Une querelle oppose alors les deux compositeurs, la presse s'en
mêle et monte l'affaire en épingle. Finalement, c'est en partie
grâce à l'intervention diplomatique de Romain Rolland que
Mariotte obtient l'autorisation de faire jouer son opéra. La première
a lieu à Lyon en octobre 1908 et connaît un accueil favorable.
L'oeuvre est ensuite donnée à Paris en 1910, au Théâtre
de la Gaîté Lyrique, avant de tomber dans l'oubli. Par la
suite Mariotte composera une demi-douzaine d'opéras parmi lesquels
Le
Vieux roi (1913) et Gargantua (1935). Parallèlement,
il dirigera le conservatoire d'Orléans puis l'Opéra-Comique
jusqu'à la Seconde guerre mondiale.
La partition de cette Salomé
s'appuie sur le texte original d'Oscar Wilde en français, d'où
ont été évacuées certaines scènes, notamment
la querelle entre les Juifs et les interventions de Nazaréens et
des Cappadociens. Ainsi l'action se concentre davantage sur les quatre
personnages principaux mais n'échappe pas toujours à une
certaine monotonie. La musique est marquée par les influences conjuguées
de Debussy (et ce, dès le prélude en mode mineur) et Chausson.
Moins contrastée que celle de Richard Strauss, elle est exempte
de tout orientalisme, y compris dans la danse des sept voiles, plus concise
et ponctuée par des interventions de Iokanaan. Confié à
une voix de mezzo-soprano, Salomé est ici davantage une séductrice
qu'une ingénue perverse. Sa partie culmine dans la scène
finale où elle déclame son monologue accompagnée par
un choeur à bouche fermée dont l'effet est saisissant.
L'interprétation voit le triomphe
des femmes, Nora Gubisch en tête, qui campe une Salomé fière
et sauvage à la sensualité exacerbée. Face à
elle, l'Hérodias de Julia Juon est en tout point convaincante. Côté
masculin, on reste un peu sur sa faim. Vincent Le Texier déçoit
en Iokanaan, qu'il chante avec une voix engorgée et bien fatiguée,
entachée dans ses premières interventions par un vibrato
envahissant. Fatigue passagère ? On l'espère pour ce baryton
dont les débuts on été prometteurs. On pardonnera
le français quelque peu exotique de Markus Hollop qui, remplaçant
Jaco Huijpen souffrant, a dû apprendre le rôle d'Hérode
en très peu de temps et s'en tire, malgré tout, avec les
honneurs. Delphine Galou et Marcel Reijans ne déméritent
pas dans leurs interventions épisodiques.
Friedemann Layer, enfin, dirige avec
conviction et un sens aigu du théâtre cette partition qui
méritait d'être redécouverte.
Signalons pour conclure que l'Opéra
de Montpellier proposera au cours de sa prochaine saison une version scénique
de cette Salomé qui sera donnée en alternance avec
celle de Strauss, fin novembre 2004. Une confrontation qui ne manquera
pas d'être passionnante.
Christian Peter
____
* Pour plus de détails
sur cette oeuvre et sur le mythe de Salomé dans l'opéra,
voir le dossier proposé par
Vincent Deloge.