CARNET DE BAAL
C'est un Placido Domingo en pleine
forme que nous retrouvons pour ce Samson, rôle dont la tessiture
correspond bien à ses moyens actuels. Avec les années toutefois,
le volume vocal a sensiblement diminué, et les "forte" de l'orchestre
le couvre maintenant assez souvent. Mais le timbre est lui toujours là,
unique, sans vibrato notable : un vrai miracle compte tenu du peu de ménagement
physique de cet artiste. Dans l'absolu, l'interprétation est satisfaisante:
c'est toutefois du "Domingo générique" où on chercherait
en vain un approfondissement ou un renouvellement au fil des années.
C'est un peu comme les plats congelés préparés suivant
les recettes de grands chefs : c'est très bon les premières
fois, mais comme ça a toujours le même goût, on finit
par regretter son hot-dog.
Dans cette perspective, l'intérêt
vient de la confrontation avec sa partenaire : Olga Borodina est une magnifique
Dalila, sensuelle, cruelle, au timbre de velours, évitant les excès
poitrinés et au français impeccable. Cela ne suffit pas à
faire sortir notre Samson de sa routine.
Sous sa perruque rasta, Jean Philippe
Lafont a plus de mal à convaincre en Grand Prêtre : son chant
est plus appliqué qu'à l'accoutumé, mais ses interventions
se font souvent côté coulisse ou sur un échafaudage
à quelques mètres au dessus du sol ; ça suffit pour
que la voix se perde totalement.
Mention bien pour les seconds rôles,
plutôt bien tenu, avec la surprise de retrouver en vieillard hébreux
le vétéran Bonaldo Giaiotti.
Sans surprise, la direction de Gary
Bertini manque d'engagement dans les scènes les plus théâtrales,
et de cette rigueur classique qu'on attend dans les scènes d'ensemble.
Le "juste milieu" est parfois la pire des solutions.
Le pire vient de la production d'Hugo
de Ana, importée de l'Opéra de Gênes, en remplacement
de celle de Luca Ronconi, initialement prévue (Ronconi montant un
spectacle au même moment à Milan a préféré
renoncer au Samson qu'il ne pouvait totalement diriger lui-même).
Le décor rappelle Star Wars
: passerelles métalliques, structures en ce qui semble être
du plexiglas. Les costumes, quant à eux, semblent plutôt sortis
d'Highlander : lances rouges et cuirasses pour les philistins, robes et
coiffes moyenâgeuses pour les dames. Au second acte, un immense lit
sort de la coulisse pendant "Mon coeur s'ouvre à ta voix", suscitant
l'hilarité ...
Bref, on chercherait vainement une
unité quelconque, ou à défaut une simple idée
directrice dans ce bric-à-brac hallucinant.
Pour le reste, les acteurs sont livrés
à eux-mêmes (on pourrait en dire autant des danseurs, tant
la chorégraphie est médiocre) et font leur numéro
habituel.
L'effondrement final est un non-évènement
: les spectateurs étant plus inquiets de la solidité du théâtre
que de celle du décor. Coup de chance, ce Samson ne casse
rien !
Placido Carrerotti