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PARIS
21/11/2007
Max Emanuel Cencic (Sposa) © DR
Stefano Landi (1587-1639)
Il Sant’Alessio
Dramma musicale en trois actes (1632)
Livret de Giulio Rospigliosi
Mise en scène : Benjamin Lazar
Collaboration artistique : Louise Moaty
Scénographie : Adeline Caron
Costumes : Alain Blanchot
Lumières : Christophe Naillet
Chorégraphie : Françoise Denieau
Maquillage : Mathilde Benmoussa
Sant’Alessio : Philippe Jaroussky
Sposa : Max Emanuel Cencic
Eufemiano : Alain Buet
Madre : Xavier Sabata
Curtio: Damien Guillon
Nuntio : Pascal Bertin
Martio : José Lemos
Demonio : Luigi De Donato
Nutrice : Jean-Paul Bonnevalle
Roma, Religione : Terry Wey
Adrasto : Ryland Angel
Uno del choro : Ludovic Provost
Maîtrise de Caen
Les Arts florissants
Direction musicale : William Christie
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 21 novembre 2007
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Un saint pas très catholique
Triste destin que celui de Saint Alexis. Ce patricien romain converti
au christianisme abandonna femme et parents le jour de ses noces, et,
après quelques années d’errance, revint incognito
sous le toit paternel où il vécut en mendiant pendant 17
ans, ignoré des siens, dormant sous un escalier et vivant dans
la seule contemplation de la grandeur divine. Naturellement, notre
saint homme prit soin de conserver sur lui à sa mort une lettre
révélant son identité, histoire d’infliger
à ses proches les affres du regret en sus de ceux de
l’absence pour la plus grande gloire de Dieu ! L’Eglise
supprima prudemment son culte, très vivace à Rome pendant
des siècles, en 1969.
C’est cet édifiant exercice de sado-masochisme que Stefano Landi,
le plus grand compositeur romain du temps, et son librettiste, le
cardinal et futur pape Rospigliosi, mettent en scène dans un
drame sacré créé avec le plus grand faste au
palais Barberini lors du carnaval de 1632. L’oeuvre se
révèle d’une évidente puissance
théâtrale, grâce à la fois à un livret
subtil qui mêle au drame des éléments de
comédie et traite le sujet d’une façon franchement
subversive (même en 1632, plus d’un spectateur devait avoir
du mal à ne pas donner raison… au Diable, qui ne cesse de
dénoncer la vanité du choix d’Alexis et de le
pousser à se démasquer !) et à une musique riche
et diverse dans ses formes : sinfonie aux ritournelles populaires,
chœurs, ariosos (déjà assez nettement
séparés des récitatifs) et petits ensembles
(notamment les extraordinaires trios de déploration du dernier
acte) se succèdent, révélant chez Landi un sens
affirmé des climats.
Sur ce drame passionnant et moderne, Benjamin Lazar et
son équipe jettent-ils vraiment un autre éclairage que
celui de leurs fameuses bougies ? Certes, le décor fait
d’éléments de palais mobiles en bois ciré
est ravissant, les costumes richement colorés sont d’un
goût parfait et la gestuelle baroque imposées aux
chanteurs donne à l’ensemble une grâce et une
noblesse indiscutables. Mais tout cela paraît bien sagement
illustratif et les ambiguïtés du message passent un peu
à la trappe. Tout comme le mystère de la
personnalité d’Alexis, sur lequel Lazar semble
s’être longuement interrogé, mais dont la
présence éthérée de Philippe Jaroussky n’était peut-être pas le meilleur vecteur. Il faut dire aussi que la présence sur scène de la maîtrise de Caen
a sans doute été un frein : les alignements
d’angelots aux fenêtres ou sur le fameux escalier forment
de délicieux tableaux de Noël qui ont ravi le public du
Théâtre des Champs Elysées, mais les extases
érotico-mystiques du Bernin, évoquées à
juste titre par Dominique Fernandez dans le superbe programme de salle, sont quand même assez loin !
Douze ans après avoir enregistré l’ouvrage avec une distribution mixte, notamment la toute jeune Patricia Petibon dans le rôle-titre, William Christie
a voulu se rapprocher des conditions de la création où
tous les rôles étaient tenus par des hommes.
Expérience inédite qui valait à elle seule le
déplacement. Réunir, pour succéder aux castrats
romains, une troupe homogène de huit contre-ténors aux
timbres suffisamment contrastés pour caractériser les
personnages est un défi que Christie a en grande partie
relevé. L’émouvante Sposa de Max Emanuel Cencic
domine le plateau : le travesti et la gestuelle baroque sont
assumés avec un naturel parfait et la voix, incomparable dans sa
catégorie par la richesse du timbre et la netteté de
l’émission, exprime les affetti
de l’épouse délaissée avec un art du chant
accompli, projetant avec la même sûreté le murmure
et l‘imprécation. Philippe Jaroussky,
avec sa longue silhouette gracile, son timbre clair presque enfantin et
sa musicalité habituelle, campe un saint charmant et fragile.
Exprime-t-il les tourments et les remords d’un mystique
doublé d’un mari somme toute infidèle ?
C’est une autre affaire. La plantureuse Madre de Xavier Sabata,
au fausset large mais peu centré, évoque franchement Zaza
Napoli - mais ce n’est finalement pas gênant… Les
seconds rôles sont dans l’ensemble bien tenus, avec une
mention pour la Rome et la Religion éloquentes du jeune Terry Wey, à la voix claire et agile, et pour la nourrice touchante de Jean-Paul Bonnevalle. Du côté des voix d’hommes « naturelles », le timbre rond du baryton Alain Buet l’aide à dessiner un père tendre et désarmé ; la jeune basse Luigi De Donato
assume avec vaillance la partie extrêmement grave du Diable, mais
disparaît souvent sous le grésillement de la régale
dont Christie accompagne ses interventions ; le ténor Ryland Angel ne mérite qu‘un silence pudique ; la basse Ludovic Provost se montre prometteuse. Quant aux enfants de la maîtrise de Caen,
ils apportent douceur et fraîcheur aux pages chorales, sans se
montrer particulièrement irréprochables dans
l’intonation.
Dans la fosse, Christie et ses douze musiciens accomplissent des miracles de raffinement.
Geoffroy BERTRAN
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