......
|
PARIS
25/10/03
(Vincent Le Texier)
Flavio TESTI (né ne
1923)
SÄUL
Opéra en trois actes et douze
scènes d'après le texte original d'André Gide (1903)
Création mondiale
Saül : Vincent Le Texier, baryton
La Reine : Annie Vavrille, mezzo-soprano
La Sorcière : Hanna Schaer,
mezzo soprano
David : David Galvez-Vallejo, ténor
Jonathan : Fabrice Mantegna, ténor
L'ombre de Samuel : Thierry Félix,
baryton-basse
Trois démons : Douglas Duteil,
Sybille Lievois, Sarah Arsitidou (solistes de la Maîtrise de Radio-France)
Orchestre Philharmonique de Radio
France
Direction Massimo Zanetti
Samedi 25 octobre 2003
Salle Olivier Messiaen
de la Maison de Radio-France
Diffusion jeudi 20 novembre à
20 h sur France Musiques
|
L'absence de mise en scène n'aura
pas porté ombrage au succès de cette création, tant
l'oeuvre recèle de puissance dramaturgique interne et d'efficacité.
Quelle mise en scène, d'ailleurs, pour cet exercice de style magnifique,
un opéra psychologique sans interludes propices aux changements
de décors ? Il y a bien un Roi, un Prince, un palais, une Reine
traîtresse, une grotte, la pleine lune, une sorcière... Mais
pour un huis-clos chargé de violence, et non une grande fresque
biblique opulente et surchargée de foules, de vengeances et de cris.
Si la barbarie est bien là, il s'agit plus d'implosion que de déflagration,
tant le cadre de l'action est incisif, restreint autour de l'évolution
psychologique du personnage-titre, Saül. Testi resserre à l'extrême
le texte de Gide, supprimant les personnages annexes, épurant le
discours musical, concentrant les cinq actes en douze scènes rigoureusement
essentielles. L'orchestre suit cette épure, suivant colla parte
les contradictions multiples des personnages, suggérant ce qui ne
peut être vraiment dit.
Les femmes sont accessoires, simples
chaînons nécessaires à l'intrigue dans cet opéra
d'hommes. Elles n'apparaissent que pour apporter leur fonction au déroulé
de l'intrigue, puis sont congédiées par Saül lui-même
de façon radicale - la mort. Saül est l'acteur et le spectateur
impuissant de sa propre chute. C'est l'anti-héros, sanguinaire mais
impuissant face aux Philistins, submergé par le désir, sourd
à Dieu et irrésistiblement attiré par le vertige de
la chute. Ce n'est pas lui qui séduira David, mais son fils débile,
Jonathan ; et c'est pourtant pour Saül que David vaincra les Philistins,
sans pouvoir toutefois restituer ensuite au Roi sa couronne. La passion
de Saül est inavouable, elle devient une obsession . Mais où
est le Mal ? Dans le désir de Saül ou dans l'amour, moins dérangeant
car d'âges semblables, de David et de Jonathan ?
Le traitement orchestral d'abord subjugue
: Testi respecte certes les symboles, David s'annonce, présent ou
non, par sa harpe ; un rayon de soleil dans la chambre de Saül est
suggéré par une succession magnifique flûte-hautbois-clarinette.
Testi est un coloriste. On sent en permanence la tentation du leitmotiv,
mais, plus subtilement, Testi préfère un figuralisme discret
et efficace, des "images sonores de la discordance des caractères".
Le célesta et les percussions (parmi lesquelles on peut classer
le piano par l'usage qui en est fait), l'orchestration parfois très
dépouillée, fonctionnent selon des codes très accessibles,
dans un souci évident de lisibilité et d'intelligibilité.
Une parcimonie magnifique ! Cette sobriété d'écriture
rend encore plus forte la densité des caractères, jusqu'à
abandonner parfois le chant au profit de la voix parlée quand toute
communication entre les personnages devient impossible, quand chacun parle
sans que l'autre ne puisse l'écouter à force de folie destructrice.
Il y a bien un héros, un vrai,
dans cette soirée : c'est Vincent Le Texier, magnifique de vérité
dans son personnage peu à peu désintégré, ligne
de chant impeccablement tenue, plasticité et diction idéales.
David est campé par un Galvez-Vallejo solaire et généreux,
même si l'on a parfois du mal, devant une telle maturité vocale,
à croire au personnage du jeune David. Belles incarnations de Hanna
Schaer, juste même si elle manque parfois de puissance (un magnifique
duo avec Saül dans la scène de sa mort), de Thierry Félix
ainsi que de Fabrice Mantegna. Seule déception de la soirée,
la reine d'Annie Vavrille, vibrato trop large, aigus forcés.
Le Philharmonique de Radio France se
montre d'une ductilité remarquable, sous la baguette précise
et à l'évidence enthousiaste de Massimo Zanetti. Ovation
méritée pour le compositeur à l'issue de la création.
Ne surtout pas manquer la diffusion
sur France-Musiques, le 20 novembre, en attendant une reprise.
Sophie ROUGHOL
Extrait du communiqué
de presse du 13.10.2003
Flavio
Testi (né en 1923)
Saül, Opéra
en trois actes et douze scènes d'après la pièce d'André
Gide (1903)
adaptée par le compositeur
composé en 1991 /
création mondiale
Après des études
musicales au Conservatoire de Turin et à l'Université de
Milan, Flavio Testi travaille tout d'abord pour Suvini Zerboni et Ricordi
tout en réalisant différents projets pour la RAI et en composant.
A partir de 1972, il se consacre à l'enseignement au sein des conservatoires
de Milan et de Florence. Auteur d'un vaste catalogue où se mêlent
musique symphonique, musique de chambre et musique vocale, et au sein duquel
le sacré tient une large place (Crocifissione, 1953 ; Stabat
mater, 1957), il est surtout remarqué pour ses grandes oeuvres
théâtrales, parmi lesquelles il convient de citer Il Furore
di Oreste d'après Eschyle (Bergame, 1956), La Celestina
d'après Fernando de Rojas (Florence, 1963), L'Albergo dei poveri
d'après
Gorki, Il Sosia d'après Dostoïevski (Turin, 1982), Riccardo
III d'après Shakespeare (Milan, 1987) ainsi que La Brocca
rotta d'après Heinrich von Kleist (Bologne, 1997), tous démontrant
l'attention soutenue du compositeur à l'égard de ses livrets.
Mais se confronter à André Gide, et plus encore à
Saül et à ses troublants secrets, revient à pénétrer
un monde d'interdits, de désirs et de frustrations aux limites du
déséquilibre et du pervers, et dans lequel il est délicat
de ne pas se perdre. Si plusieurs compositeurs se sont déjà
attachés à ce texte si difficile, Honegger et Milhaud tout
d'abord dans des musiques de scène (1922 et 1954), et Jean-Pierre
Guezec dans une illustration radiophonique pour octuor (1966), aucun d'entre
eux n'a tenté l'expérience de l'opéra. Comprenant
qu'il ne fallait pas y voir un drame biblique traditionnel, décoré
de colonnes et de temples habituels, Flavio Testi a été attiré
par la tragédie personnelle du Roi, un roi "dépouillé
de tout accent héroïque et victime de sa propre destruction
intérieure, car abandonné à tous les instincts et
aux plaisirs ; c'est du pur théâtre, et le chef-d'oeuvre du
meilleur Gide".
Une grotte faiblement éclairée,
une caverne à peine plus accueillante un soir de pleine lune, quel
endroit plus propice aux communications avec les esprits ? On se croirait
en plein opéra romantique, entre la Gorge-aux-Loups du Freischütz
et les miroirs magiques de Genoveva. Rien ne manque, ni l'ombre
maléfique qui prédit l'avenir, ni la sorcière qui
voit, dans son chaudron, ce qui se passe au loin. Des combats résumés
en quelques mesures, des meurtres plus qu'il n'en faut, et surtout, plongeant
au plus profond des graves, l'entrée terrifiante de Samuel, et voilà
l'effet dramatique assuré par un livret riche en événements.
Certes, l'adaptation de Flavio Testi est de taille : réduisant le
nombre de personnages et omettant de nombreux dialogues secondaires, le
compositeur retarde l'entrée des Démons, coupe dans les cinq
actes pour ne conserver que douze scènes extrêment développées,
réunissant parfois plusieurs numéros de la pièce originale.
Les scènes, explique Flavio Testi, "n'ont pas de solution de continuité,
et l'absence d'interludes instrumentaux interdit les grands changements
de décors". De là un plateau quasi nu, à peine orné
de quelques éléments allusifs, de simples voiles ou d'une
tente, de sable ou d'une projection de ciel étoilé. Tout
ce passe dans la tête des protagonistes, au gré de situations
sans cesse différentes, de méditations solitaires et de superpositions
de dialogues (II), d'appartés du roi caché (III) ou de discussions
avec des personnages irréels (IV). La voix parlée oppose
au chant son mode d'énonciation comme une preuve supplémentaire
de l'impossible communication entre les personnages, marque chez Saül
le retour au calme (III), le réveil (VII), la perte de raison (XII)
ou la folie meurtrière (III). Car ce qui fait l'intérêt
de ce drame réside sans doute moins dans les gestes ou les dires
que dans le mal-être de chacun, dans les songes et les obsessions,
les passions inavouables qui animent chacun des personnages.
Mettre Gide en musique impose
donc d'affronter les sens les plus contradictoires, le bien et le mal,
le paradis et l'enfer, sans que l'on puisse finalement savoir ce qui est
promis au ciel. Car il y a dans cette pièce à la fois l'austérité
de La Porte Etroite et les excès de l'Immoraliste,
cette interrogation religieuse qui n'accepterait l'image d'un dieu que
dans la mesure où elle offrirait au sceptique de se dépasser
lui-même, et ce désir si violent que seul le sacrifice de
soi-même permettrait de le satisfaire. Il y a cette homosexualité
latente que les différences d'âges rendent encore plus dérangeante,
si dérangeante d'ailleurs que sa seule idée devient le véritable
tourment de Saül. Et nul besoin, dans ce monde où les femmes
sont aussitôt réduites au silence, de se demander quel est
le personnage le plus autobiographique de l'histoire. Gide est à
la fois le roi corrompu, l'enfant différent et l'élu, appelé
à prendre la tête du royaume grâce à son art,
et finalement dépassé par son propre destin. Ce trouble,
ce Schaudern selon l'expression de Gide - elle-même emprutée
au second Faust de Goethe -, est trahit tant par la voix intermédiaire
du baryton que par un orchestre qui abandonne les violons et flirte avec
une instrumentation de musique de chambre. "Les violons, explique Flavio
Testi, donneraient à l'ensemble un ton trop lyrique ; dans ma Passio
Domini nostri Jesu Christi secundum marcum, j'avais même retiré
les alti". De là l'importance conférée au piano et
au célesta, sans oublier les apparitions obsédantes de la
harpe, surgissant même lorsque David n'est pas là, parce que
le jeune garçon est déjà présent dans l'esprit
de Saül lorsque celui-ci pose à Dieu sa terrible question :
"J'ai
voulu interroger moi-même, et, dès lors, Dieu s'est tu."
Pour comprendre la musique
de Flavio Testi, il convient de s'intéresser au moment où
David essaie vainement de soulager Saül par le chant harmonieux de
sa harpe. Reprise par un chant hébraïque de Byron traduit par
Körner, la scène avait déjà inspiré à
Schumann un de ses merveilleux lieder du recueil des Myrthen. L'évolution
des arpèges trahissaient l'échec du musicien, et semblaient
encore ajouter aux angoisses de son souverain. De ce dialogue où
la musique tient un rôle essentiel, Flavio testi a fait un véritable
drame miniature, passant des grandes lignes dépressives du premier
cantique, trop douloureuses pour apaiser un coeur meurtri, à d'autres
ascendantes, plus efficaces certainement. "Ce chant de harpe coule sur
ma pensée", s'exclame Saül. Les trilles d'un oiseau qui aspire
à s'échapper de sa cage, et de nouveau, aux cordes, ces montées
symboliques. Le combat s'engage entre les sentiments de souffrance et les
timides symptomes d'une guérison impossible. Mais sans doute Saül
se confie-t-il trop, ne pouvant s'empêcher de s'écrier combien
tout ce qui est délicieux lui est horrible. David, qui refuse de
devenir l'objet de ses délices, se taît sur l'effondrement
désespéré d'une dernière ligne mélodique
de harpe. Reprenant de nombreux motifs qui assurent l'unité de toute
la partition, la scène révèle comment l'utilisation
de chaque idée semble partagée entre la technique du leitmotiv
et la pratique plus traditionnelle du figuralisme. Les nombreux ostinatos
pleins d'envie, le Jeu sur les tierces mineures, depuis les accords parfaits
de l'entrée de Jonathan jusqu'à la septième diminuée
accentuant la fureur de Saül, les lignes modales ascendantes de celui-ci,
présentées par les violoncelles et les contrebasses et rappelant,
dans les quatrième, cinquième et dernières scènes,
l'étrangeté du roi à ceux qui l'entoure et sa sempiternelle
solitude, les appoggiatures sur de grands intervalles ou, au contraire,
les frottements harmoniques de secondes, sont quelques images sonores de
la discordance des caractères, tandis que les longues tenues, tour
à tour decrescendo et crescendo, semblent tant suggérer
un secret bien gardé - pianissimo et sottovoce : "ce
secret, il ne faut qu'aucun autre que moi le sache" - que renforcer le
besoin de saül de s'entendre dire ce qu'il ne peut savoir, ou ce qu'il
ne veut pas savoir et qu'il sait pourtant déjà.
François-Gildas
Tual
|
|
|