L'ancien testament revu et corrigé
par la vieille Angleterre
A priori, l'affiche de ce
concert au Théâtre des Champs Elysées était
fort prometteuse dans la mesure où Saül est une oeuvre
assez rarement donnée et où y figurait de surcroît
un des plus célèbres contre-ténors de notre époque
: Andreas Scholl. Cependant, malgré ces atouts, la soirée
ne fut pas vraiment à la hauteur de ce qu'on pouvait en attendre.
Saül, quatrième
oratorio dramatique de langue anglaise de G.F. Haendel, fut créé
le 16 janvier 1739 et semble marquer un tournant dans la vie artistique
du compositeur, car, deux ans plus tard, celui-ci allait composer son dernier
opéra italien.
L'histoire de Saül,
roi d'Israël, est longuement racontée dans l'Ancien Testament
(Samuel I - 17-31). Cet épisode biblique évoque aussi, pour
une bonne part, la vie de David, sa victoire sur Goliath ainsi que son
accession au trône d'Israël où il succéda à
Saül, bien que le sujet principal en soit cependant la chute et la
mort de ce dernier et de son fils Jonathan.
Curieusement, cette oeuvre
semble également prendre son inspiration dans les drames de Shakespeare
et rompt avec le modèle de l'opera seria qu'Haendel avait
cultivé pendant de nombreuses années et utilisé dans
ses premiers oratorios. En effet, dans la scène dramatique "In guilty
night" datant de 1635, Henry Purcell avait déjà traité
la visite de Saül à la sorcière d'En-Dor. On retrouve
ce personnage chez Haendel un siècle plus tard, comme une sorte
de fil conducteur le ramenant aux sources de l'oratorio anglais.
Ce changement s'observe aussi
à travers le traitement des choeurs, qui occupent une place plus
importante, et aussi dans celui des personnages, qui semblent tout droit
sortis d'une pièce de Shakespeare : Saül ressemble beaucoup
à Hamlet et l'apparition du prophète Samuel n'est pas sans
faire penser à l'invocation du père du héros de la
pièce.
En écrivant cet oratorio,
Haendel s'inscrit donc dans la pure tradition littéraire anglaise,
tout comme dans celle de la musique nationale : les sorcières étaient
également présentes dans Didon et Enée.
Enfin, le découpage
de l'oratorio en actes, la présence par endroits, dans ce genre
choral, d'indications de mise en scène, le fait qu'y soient introduits
de nombreux intermèdes instrumentaux révèlent aussi
le compositeur d'opéra.
Saül comporte
donc dans sa composition les formes conjointes de l'opéra, de l'oratorio
et du concerto et annonce, avant Belshazzar et Le Messie,
un style d'oratorio original qui contribuera pour une part importante à
la célébrité de Haendel.
D'où vint alors, malgré
cette originalité d'écriture et cet esprit novateur, l'impression
d'ennui qui envahit très rapidement le Théâtre des
Champs Elysées ?
Dés l'entrée,
la direction de Paul Mac Creesh, très sèche, très
"clean", très "british" au sens péjoratif du terme, installa
un climat où la vie et la passion eurent bien du mal à trouver
leur place : du baroque bon teint, corseté, empesé où
aucune fantaisie n'était autorisée à figurer.
Dans ces conditions, les
solistes, contraints à se plier à cette conception très
rigide, ne donnèrent pas forcément le meilleur d'eux-mêmes.
Andreas Scholl, "colosse
à la voix d'ange", dont le rôle comporte de fort belles pages,
a une voix puissante, sonore, bien projetée et une belle ligne de
chant. Cependant, il donna à entendre et à voir un David
un peu monolithique, très viril, qui fit plus de lui le petit frère
de Goliath que celui d'Hamlet. Il est clair que David Daniels, avec une
voix moins ample, certes, eût sans doute donné du rôle
une lecture plus poétique, plus habitée, plus raffinée,
en un mot plus émouvante.
Mark Padmore livra en Jonathan
une belle prestation, emplie d'une grande dynamique et d'une belle énergie.
Par contre, Neal Davies -
Saül - à la voix très engorgée, eut souvent tendance
à appuyer un peu trop les effets et à forcer le trait pour
confiner parfois à la caricature.
Nancy Argenta - Merab - remplaçait
Deborah York souffrante. Cette artiste qui, il y a quelques années,
livra d'excellentes prestations, accusa cette fois une certaine fatigue
vocale se manifestant par des aigus particulièrement acides.
Par contre, on ne peut que
déplorer le nombre assez limité des interventions de la magnifique
Susan Gritton dans le rôle de Michal (entendue dans Ezio il
y a quelques années dans le même théâtre avec
le grand James Bowman) tant cette artiste au timbre rond, fruité
et chaleureux possède la présence, la conviction et la sensibilité
nécessaires à une telle oeuvre et à bien d'autres,
d'ailleurs.
Le reste de la distribution
fut sans reproche, et le choeur se montra excellent, en particulier les
voix de femmes.
Reste l'orchestre. Il est
clair qu'il a peu de couleurs et de souplesse, que les cordes sont rêches
et les vents parfois faux. Surtout, il lui manque cet esprit de pure jubilation
qui éclate dans les mouvements rapides de Haendel. Où sont
les Minkowski, les Gardiner, leur passion, leur énergie et les suaves
chatoiements de leur orchestre ?
De plus, on eut parfois l'impression
désagréable que le chef tirait d'un côté une
partition que les solistes souhaitaient amener ailleurs. Le résultat,
assez déplaisant, ne donna pas l'impression d'une cohérence
et d'une vision globale de l'oeuvre, en un mot d'un vrai projet artistique,
ce qui revint à placer Paul Mac Creesh aux antipodes de Gardiner
et de Minkowski.
En résumé,
une soirée peu exaltante où, sans qu'il y eût de défaut
majeur, l'émotion et la spiritualité furent cruellement absentes.
On peut se demande si, dans
ces conditions, ce ne fut pas tout bonnement l'ennui qui tua Goliath....
Juliette Buch