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PARIS
19/01/2008
Laurent Naouri
© DR
Othmar Schoeck (1886-1957)
Elégie op. 36 (1921-1922)
Johannes Brahms (1833-1897)
Vier Ernste Gänge op. 121
(Quatre Chants sérieux)
Laurent Naouri (baryton)
Maciej Pikulski (piano)
Orchestre de Paris
François-Xavier Roth, direction
Auditorium du Musée d’Orsay, Paris, 19 janvier 2007
Dans le cadre du Cycle Regards sur la Suisse
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Ode au noir
L'Elégie Op.36 pour baryton et orchestre de chambre du compositeur suisse Othmar Schoeck est son premier cycle de lieder,
composé de 1921 à 1923 sur des poèmes de Lenau et
de Eichendorff, dans le cadre des tumultes d’une liaison
amoureuse passionnée et déçue pour la pianiste
Mary de Senger, et d’un contexte historique tragique. Œuvre
de dépression, œuvre de poix et d’angoisse,
œuvre de rupture également, et pas seulement
sentimentale : Schoeck en fait un quasi-adieu à la
sphère tonale, pour un ailleurs musical encore
protéiforme, accroché à la tradition
post-romantique et teinté de symbolisme, mais d’un langage
très personnel, même s’il fait souvent penser
à Zemlinsky. Mélodies à l’ambitus restreint,
tournoyant souvent, comme enfermées dans une pensée
obsessionnelle qui ne réussit pas à les délivrer
de leur gangue ; chant tantôt aux limites de la
déclamation, comme une conversation avec soi-même ;
ruptures de violences passagères, tantôt explosant en
révoltes ou éclairs virtuoses somptueusement conduits
harmoniquement ; morbidité constante qui teinte
jusqu’aux évocations de bonheurs passés ;
registres graves, à la voix comme à
l’orchestre ; timbres sombres, grinçants,
voilés ; doublures de la voix au violon, au cor anglais ou
à la flûte, sur un velours cramoisi de cuivres et de
bois ; phases d’immobilité harmonique angoissantes
(comme un arrêt de la pensée musicale qui ne trouve pas
à se résoudre…) puis jeu sur les résonances
et les tenues … Enfin épilogue presque serein sur les
mots « O Trost » (O Consolation…), dans
lequel explose la luxuriance du travail orchestral, remarquable tout au
long du cycle.
Laurent Naouri
démontre qu’il peut être somptueux dans un autre
registre que la légèreté offenbachienne ou le XIXe
français où beaucoup voudraient le cantonner :
aborder le répertoire allemand n’est pas ici non-sens pour
sa vocalité, d’autant que la diction en est aussi limpide
que celle à laquelle il nous a habitués dans le
répertoire français – même si l’accent,
lui, semble perfectible. Solidement planté sur scène,
très concentré, immobile, tout se lit sur son visage,
dans ses yeux, de sa plongée dans les noirceurs de Schoeck et
les graves de son registre. La ligne de chant est solidement tenue,
avec à ses côtés, la complicité et la
précision discursive de François-Xavier Roth
en atout indéniable aux manettes d’un Orchestre de Paris
en petite formation mais somptueuse forme. Ovation
méritée et pour le chanteur et pour l’orchestre, et
pages à découvrir absolument, par exemple au disque avec
l’enregistrement de Klaus Mertens avec l’ensemble Mutare
(New Classical Adventure MA 95 04808).
Le couplage avec les Quatre Chants Sérieux de Brahms
est une excellente idée, les deux œuvres unies par leur
consolation ultime dans la mort, même si après Schoeck,
Brahms résonne d’une sagesse musicale étonnante, et
détente bienvenue, quelque peu contradictoire avec son propos.
Cette fois-ci bien sûr seul le subtil Maciej Pikulski accompagne
le chant naturel, sans dramatisme excessif, avec une pensée
musicale qui englobe la phrase entière, plutôt que de
détailler ou mettre en relief chaque mot… si ce
n’est, bien sûr, le célèbre « O
Tod, wie bitter bist du ». Un classicisme de
l’interprétation du lied comme marque de style.
Sophie ROUGHOL
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