Le public a véritablement pris
d'assaut le conservatoire de Bruxelles jeudi dernier : du parterre au poulailler,
des fonds de loge jusqu'à la scène où il investissait
quelques gradins (position fort exposée lorsque un portable incongru
vient à sonner !). Mais pourquoi ai - je eu l'impression, tenace,
qu'un demi - siècle après les débuts d'Alfred Deller,
cette foule venait encore et avant tout admirer un phénomène
vocal ? Peut - être en raison du niveau de l'applaudimètre,
sans rapport avec une première partie routinière et décevante.
Il est vrai qu'on s'enivre sans partage
de la lumière profuse du timbre, des aigus tour à tour brillants
et suaves, de la beauté intrinsèque d'un organe aux ressources
dynamiques peu communes chez les contre - ténors. Dommage, toutefois,
que les émotions restent surtout esthétiques... Après
une incursion dans l'Arcadie méconnue mais assez fade des Gasparini
et Marcello, Andreas Scholl retrouve déjà les sentiers battus
avec des cantates pour soprano de Haendel, depuis longtemps dépoussiérées
et à l'affiche des concerts - du moins nous épargnent - elles
certains passages en registre de poitrine abrupts et disgracieux dont l'Allemand
était devenu familier. Au risque de me répéter, je
reste perplexe devant le décalage criant qui s'opère entre
l'extrême mobilité du visage de l'artiste, lequel d'ailleurs
ne tient pas en place, s'avance, agite les bras, se retourne ou se met
de profil pour interpeller une maîtresse imaginaire, et l'inaltérable
angélisme du chant auquel manquent toujours - personnalité
du timbre et falsetto obligent - la variété des couleurs
et les attaques incisives susceptibles de traduire ses intentions dramatiques.
Manifestement tendu, Scholl se racle légèrement la gorge
à plusieurs reprises (séquelles d'un refroidissement ?) et
semble obnubilé par sa seule performance vocale, irréprochable,
mais lisse, à l'instar de ses ornements, éprouvés
et impersonnels.
Contre toute attente, le chanteur se
montre nettement plus engagé et convaincant dans une seconde partie
traversée par le Sturm und Drang - n'était - ce un
faux départ chez Mozart, qui nous rappelle que le géant athlétique
est heureusement un être aussi vulnérable que vous et moi.
Les canzonette de Haydn trouvent chez lui une attention au mot,
une vérité et une véhémence des accents confondante.
On se surprend à oublier la plastique de l'instrument et à
vibrer à l'unisson de la pauvre Anne Hunter (Despair). Le
musicien semble enfin se livrer et nous touche droit au coeur dans un Abendempfindung
à l'ineffable mélancolie. Accompagnateur officiel de la star
depuis douze ans, Markl se révèle un partenaire idéal
et l'on songe à la complicité de leurs maîtres respectifs,
René Jacobs et Andreas Staïer, qui voici une quinzaine d'années
donnaient en récital l'ode à Laure mais aussi An Chloé,
réunissant les deux lieder composés le 24 juin 1787
par un Mozart visionnaire.
Markl a deux occasions de s'exprimer
en soliste : une chaconne en sol majeur de Haendel, rendez - vous plutôt
manqué, et la sublime fantaisie en ré mineur de Mozart, abordée
avec une grande finesse et un sens très poétique de la respiration
qui visiblement séduit l'auditoire.
Un seul bis, mais de pure félicité
: le rondeau de Ruggiero dans Alcina, ce Verdi prati à
la tendresse berçante qui voit fleurir un sourire rêveur sur
les lèvres de la soprano américaine Mary Elisabeth Williams,
finaliste du dernier Concours Musical Reine Elisabeth en compétition
quelques mois plus tôt devant un jury où siégeait...
Andreas Scholl.
Bernard SCHREUDERS