Cette année, le choix du grand
spectacle donné dans l'ancien Palazetto dello Sport, reconverti
en lieu de festival estival, s'est porté sur Semiramide.
Cet opera seria, qui est loin d'être le plus mauvais
de la production rossinienne, n'atteint cependant pas à l'extrême
rareté et a déjà été représenté
lors de deux éditions antérieure du Rossini Opera Festival
(ROF) : en 1992 (Iano Tamar, Gloria Scalchi, Michele Pertusi, Gregory Kunde,
direction Alberto Zedda, une belle production signée par Hugo De
Ana et reprise en 1994 (Cecilia Gasdia, Martine Dupuy, Michele Pertusi,
Rockwell Blake, direction Roger Norrington). Les fidèles et plutôt
exigeants spectateurs du ROF attendaient donc un certain niveau d'excellence,
qui, globalement, ne fut pas au rendez-vous.
La responsabilité en revient
d'abord au chef, Carlo Rizzi, qui est y pourtant un spécialiste
du répertoire rossinien. Il a d'ailleurs assuré avec brio
la direction de plusieurs spectacles donnés à Pesaro ces
dernières années, comme La Cenerentola ou La Donna
del Lago. Dans Semiramide, sans être catastrophique, sa
direction manque de mordant et de dynamisme, avec des tempi très
lents par moments, puis des accélérations un peu brutales...
On a connu le maestro en meilleure forme !
Darina Takova, qui, paraît-il,
est une familière du rôle (dixit le programme), manque
singulièrement d'agilité. Néanmoins, elle possède
toutes les notes du rôle et l'épaisseur de sa voix, celle
d'un soprano dramatique (mais non "d'agilita"), compense son peu d'aisance
dans la vocalisation.
Sa plastique avantageuse et sa fière
allure sur scène aident également à faire passer la
pilule, mais elle reste très loin vocalement des Anderson, Sutherland,
Gasdia, ou Caballé de la grande époque.
La mezzo Daniela Barcellona, découverte
au ROF il y a quelques années, alors qu'elle était encore
inscrite en cours de perfectionnement à l'Accademia Rossiniana,
a recueilli un succès mérité, même si les applaudissements
étaient peut-être un peu moins nourris que lors de ses apparitions
en 2001 dans La Donna del Lago (Calbo) ou en 1999 dans Tancredi.
En raison de sa grande taille, elle est parfaitement crédible dans
les rôles travestis et la voix se révèle souple, puissante
et de
L'excitation du public lors de ses
débuts semble un peu retombée ; sa voix manque sans doute
encore de variété dans la couleur et ses interprétations
ne sont pas assez intériorisées. Entendons-nous : Daniela
Barcellona demeure ce qui se fait de mieux actuellement dans le Rossini
serio, mais quand on a Marilyn Horne dans l'oreille...
La basse Ildar Abdrazakov s'en tire
honorablement, avec de vrais graves audibles et bien timbrés (ce
qui manquait par moments à Michele Pertusi), mais la voix doit encore
gagner en souplesse et en agilité. Le point faible de la distribution,
c'est Gregory Kunde : sa voix, qui n'était déjà pas
très charnue en 1992, a encore perdu en volume, ses aigus (largement
sollicités dans ses deux airs) sont une véritable souffrance,
pour lui comme pour le public, on applaudirait presque de soulagement à
la fin de sa prestation, tant on est content qu'il n'ait pas eu d'accident
! Les graves sont présents, mais le changement de registre vers
l'aigu est très désagréable, avec une gorge qui semble
se resserrer pour émettre un filet de voix.
Mention très bien en revanche
à Marco Spotti, qui possède une magnifique voix de baryton-basse,
sonore et bien placée, et pourrait être promis à une
belle carrière ; un chanteur à suivre...
La mise en scène a suscité
beaucoup de commentaires parmi les spectateurs, certains trouvant là
matière à scandale et d'autres, au contraire, une distraction
plutôt plaisante. N'étant pas forcément un défenseur
acharné des productions historiques, je me range plutôt dans
la seconde catégorie
On est donc très loin de l'antique
Babylone, dans une sorte de centre de contrôle ou salle de conférences
de l'ONU un peu kitsch, dont l'esthétique est à mi-chemin
entre le Cap Canaveral des années 60 (avec un soupçon de
Cosmos 1999) et Rencontres du troisième type (Spielberg),
et que se situe dans un bunker en béton, avec moniteurs, lumières
colorées et clignotantes, hologrammes (le fantôme de Nino)...
La garde rapprochée de Semiramide
("Bel raggio lusinghier") est une équipe d'escrimeuses en tenue
complète ; pourquoi pas... Assur est un général en
chef auquel, pendant sa scène de folie au quatrième acte,
de gentilles assistantes affairées apportent précipitamment
des dossiers (certainement brûlants) et montrent des écrans
d'ordinateur (certainement alarmants), comme dans une situation de crise
du style "attaque nucléaire" ou "11 septembre". Dans l'ensemble,
cette transposition fonctionne relativement bien et divertit l'oeil par
son côté spectaculaire, même si elle n'est intellectuellement
très stimulante et par moments menace même de sombrer dans
le nunuche.
Au regard de l'investissement dévolu
à cette production, on peut penser qu'elle sera reprise au cours
d'une prochaine édition, avec, espérons-le, un chef d'orchestre
plus inspiré et digne de ce magnifique opéra.
Raoul Dugosier