À Lille, comme partout en France,
c'est l'année de la Chine, mais ce que la ville a d'unique en ce
moment, c'est qu'elle est capitale culturelle de l'Europe et qu'à
ce titre, elle s'offre la reconstitution d'une rue de Shanghaï (rue
Faidherbe) ainsi que la réplique du pavillon de thé de Shanghaï
juste devant l'Opéra. C'est dire que la venue de la compagnie de
l'Opéra de Pékin pour trois représentations uniques
en France, a pris à Lille tout son sens. Ici, le passant voyage
au coeur d'un des pays les plus énigmatiques du monde et pratique
quotidiennement la distorsion de l'espace-temps.
Des hommes et des dieux
L'histoire de Serpent Blanc
appartient à la tradition théâtrale de l'Opéra
de Pékin qui remonte au XVIII ème siècle. Il y est
question d'un coup de foudre puis d'un mariage contrarié entre un
jeune homme et une jeune fille qui se révèle être une
immortelle, la fée du Serpent Blanc. Serpent Bleu, Pôle Sud,
La Grue, Le vent Limpide, Clair de Lune ou Général Crevette,
etc., sans oublier les Deux Fées-Moules ou le Bouddha protège-ciel
... sont aussi de la partie. C'est dire que sur scène, il y a du
monde !
On nage dans le mythe et l'imaginaire
chinois et malgré les surtitres d'ailleurs plus que succincts, on
a du mal à s'y retrouver. Quant à l'aspect symbolique, il
nous est complètement étranger. Pour des oreilles occidentales,
même habituées aux musiques du monde, la musique de Jin Guoxion
et Jin Jinshan sonne de façon très étrange. Tout y
est différent, l'auditeur, plongé dans un océan de
perplexité et à la recherche de quelques repères,
essaye de ne pas perdre pied en se raccrochant à quelques détails
comme cette omniprésence, lancinante, voire hypnotique de la percussion
qui frise l'obsession.
Impossible pour l'amateur d'opéra
de voir spectacle plus étrange
Sur une toile de fond à l'image
de la Chine éternelle que nous avons tous imaginée (paysages
de montagnes déchiquetées, arbres, pagodes, rochers ...)
et avec un très beau jeu de lumières pour tout décor,
des personnages aux gestes très codés nous racontent une
histoire sans âge qui nous renvoie aux légendes de l'enfance,
mais d'une enfance dont il nous manquerait la clé, puisque cette
enfance est chinoise. Les voix très aiguës des femmes sont
parfois difficiles à supporter et la sonorisation n'arrange rien,
mais l'alternance parlé/chanté/dansé, fait du spectacle
un vrai divertissement. Les actions sont très imagées et
les chanteurs à la voix amplifiée par les micros (dommage
!) et au visage impassible articulent peu. Quant aux ballets et acrobatie
diverses, on y sent l'influence d'une révolution culturelle pas
si lointaine. Une étonnante harmonie de couleurs règne sur
le plateau et lors des combats chorégraphiés, les sabres
brillent dans la lumière. Toutes les techniques d'expression de
l'opéra - chant, musique, théâtre, danse, pantomimes,
combats, cirque - sont convoquées par la troupe de plus de 70 artistes
(instrumentistes, chanteurs, comédiens, danseurs, acrobates) de
l'Opéra de Pékin. La variété des instruments
- tambours, gong, cymbales, vièle Erhu, flûte, suona (hautbois),
cithare, orgue à bouche - peu familiers à nos oreilles occidentales,
assure au public un dépaysement total que renforce les curieux costumes
et masques dont les personnages sont habillés. Ce n'est pas un hasard
si Charlie Chaplin, Bertold Brecht ou Gérard Philippe ont été
fascinés par l'opéra chinois, forme très élaborée
de théâtre épique qui refuse le réalisme et
l'identification pour s'intéresser au déroulement de l'histoire.
La
légende du Serpent Blanc, c'est un peu comme un livre d'images
visuelles et sonores qu'on ouvrirait devant vous et qui se révèle
un enchantement. Une belle découverte, idéale pour faire
le plein d'énergie ! Normal pour une musique qui cherche à
établir l'harmonie entre le ciel et la terre.
Anna de AYALA