C O N C E R T S 

 
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STRASBOURG
(opéra du Rhin)

25/03/2002

Showboat
Jerome Kern 

Cycle opéra américain - Nouvelle production

Direction musicale: John Owen Edwards
Mise en scène et lumières: Josef Ernst Köpplinger
Chorégraphie: Riccarda Regina Ludigkeit
Décors : Heidrun Schmelzer
Costumes : Marie-Luise Walek

Magnolia - Krisztina Szabo
Gaylors Ravenal - Brett Polegato
Queenie - Karla Burns
Joe - Kevin Maynor
Julie - Sharon Coste
Steve - Dominique Orth

Choeurs de l'Opéra du Rhin - Direction Michel CAPPERON
Orchestre Symphonique de Mulhouse


Photo - Opéra national du Rhin


Dans le cycle, original, autour de l'opéra américain que propose l'Opéra National du Rhin (et qui a vu cette saison la création européenne d'Un tramway nommé désir d'André Prévin), est proposée cette fois une véritable comédie musicale, genre typiquement américain.

Le grand mérite de ce spectacle est de remettre certaines pendules à l'heure. Et non, Roméo et Juliette, Les Dix commandements, ou autre Notre-Dame de Paris, aux allures de show télévisé et aux musiques sirupeuses dont on nous abreuve les oreilles régulièrement, ce n'est pas de la "vraie" comédie musicale. Et même si cette production de Show Boat est certainement loin du faste et des paillettes d'un spectacle de Broadway, il n'en reste pas moins que nous avons là une véritable comédie musicale, ou plus exactement une "musical comedy".

La comédie musicale est, à ses débuts (au tournant du XIX° et du XX°), une véritable auberge espagnole, où l'on prend à gauche (les chants noirs) à droite (l'opérette européenne) et on mélange. Puis, une fois créé, le genre va s'affiner, bénéficier de musiciens formés à la "grande" musique pour hausser la comédie musicale au dessus du simple divertissement. C'est ainsi que naîtront les grands chefs d'oeuvre de Gershwin, Bernstein et...ce Show Boat.

Admettons que le niveau musical de la musique de Jerome Kern n'atteint pas celui de Gershwin ou Bernstein, mais c'est surtout au niveau du livret que cette oeuvre est novatrice. Un livret qui n'est pas seulement le prétexte à de grands numéros vocaux, chorégraphiques ou comiques, mais une véritable histoire, avec de vrais personnalités bien individualisées, des aspects tragiques également, et une certaine autocritique, surprenante, du monde américain du spectacle. Ainsi, l'on assiste au 1° acte à un spectacle dans le fameux Show Boat (un de ces immenses bateaux renfermant un véritable petit théâtre et qui naviguaient sur le Mississippi), spectacle provincial dirions nous méchamment en France, puis au 2° acte, un spectacle dans un grand cabaret d'une grande ville (Chicago), beaucoup plus clinquant. Et dans chacun de ces spectacles, on y retrouve la même héroïne, Magnolia, à une quinzaine d'années d'intervalle.

Personnellement, cela m'a fait penser à la Tatiana d'Eugène Oniéguine de Tchaïkowsky, que l'on trouve au 2° acte dans un bal provincial et campagnard puis que l'on retrouve au 3° acte, dans un autre bal, à St-Pétersbourg, beaucoup plus chic. Même parcours, ou presque, d'un personnage, même volonté de croquer une société, ses règles, ses injustices, ses misères, et puis même émotion aussi.

Mais encore même "évolution" musicale: tout comme Tchaïkowsky fait évoluer son bal du 2° acte aux sons d'une valse et d'un mazurka, il choisit une polonaise, danse plus "noble", pour le bal du 3°. De même, dans Show Boat, lorsque Magnolia auditionne à Chicago, et qu'elle interprète une chanson apprise sur le Show Boat, on lui fait comprendre que ce genre de choses est passé de mode, et le pianiste d'accélerer le tempo, faire swinger un peu, et le tour est joué, nous avons un ragtime !

Les textes (remarquables et très intéressants) du programme insistent bien sur le côté novateur de Show Boat qui apparaît donc comme un jalon dans l'histoire de la comédie musicale.

Musicalement, nous sommes loin, je l'ai dit, des hauteurs d'inspiration qu'atteignent Gershwin ou Bernstein, mais il s'agit malgré tout d'une oeuvre très agréable, bien écrite, avec des mélodies devenues célèbres, dont le fameux "Old man river".  La musique mêle divers genres, du gospel, à l'opérette (on a parfois vraiment l'impression d'entendre une opérette de Lehar !, comme pour le duo entre Magnolia et Ravenal), le tout teinté parfois d'accents jazzy (ceci s'explique aussi par le fait que Jerome Kern a voulu caractériser chaque communauté (noire et blanche) par une musique différente). Le résultat peut paraître cependant disparate et hésitant. Nous sentons bien que nous sommes "entre deux eaux", c'est le cas de le dire...!

Par ailleurs, je pense que cette impression est renforcée par l'utilisation pour cette production d'une orchestration postérieure àcelle de la création (qui est, de l'aveu même du chef d'orchestre, "amplifiée" et qui, de plus, apporte d'autres modifications à l'oeuvre), ce qui est dommage, l'orchestre sonne un peu trop "classique", d'autant que la direction de John Owen Edwards est   plutôt routinière. N'a-t-on plus trace de l'orchestration originale ?

Cependant, cette réserve est compensée par un formidable travail de troupe. On sent là un travail rodé (5 semaines de répétition !) qui s'enchaîne parfaitement.

L'esthétique est très "premier degré", ce que défend le metteur en scène Josef Ernst Köpplinger, en disant que l'"on peut actualiser une Salomé, ou une Electre, mais si on retirait le contexte de Show Boat, cela anéantirait son charme et sa force de persuasion". Ce choix s'explique aussi par le fait que le spectacle s'adresse à un public européen, non habitué aux références américaines, et que la lisibilité de l'action est donc primordiale. Mission réussie, et ce n'est pas une mince affaire tant il y a de chanteurs, danseurs, choristes, figurants sur scène (une bonnne soixantaine !). L'action est claire  et et on s'y retrouve (sauf lorsque de nombreux décalages entre les dialogues parlés et le lancement des surtitres n'aident pas à suivre !...)

La mise en scène nous réserve de très belles "images", et j'emploie ce mot à dessein, tant les références au cinéma m'ont paru flagrantes. Ainsi, ces "gros plans" sur la cuisine du bateau, ou la chambre aux murs de guingois de Magnolia à Chicago, deux courtes scènes astucieusement rendues intimes par un "cadrage" sur un tout petit espace, ou bien ces rapides changements de décors (nombreux et très beaux), changements cachés par des panneaux noirs dont la mobilité rappelle le mécanisme du diaphragme d'un appareil photo.

Ingénieux aussi l'utilisation de la salle comme lieu d'action: la salle de l'opéra de Strasbourg devenant le théâtre du Show boat (les lumières s'allument donc légèrement à cette occasion), les loges d'avant scène utilisées par des acteurs, des passages joués dans le parterre ou autour de la fosse d'orchestre etc.

Bref, une mise en scène très réussie, variée, vivante, mais à laquelle des éclairages peut-être plus nuancés auraient apporté un supplément de magie (je pense surtout aux séquences nocturnes).

En tout cas, Köpplinger sait mener une troupe, troupe qui brille par son homogénéité. Il serait fastidieux de détailler les prestations. Je mentionnerai juste la formidable Queenie, la cuisinière noire du Show Boat, de Karla Burns, quasi sosie de la nounou de Scarlett O'Hara dans Autant en emporte le vent, le film de Victor Fleming (combien de fois ai-je cru qu'elle allait dire "Mam'zelle Sca'lett !" !!!) et le superbe Ravenal de Brett Polegatto (qui fut un très beau Pelléas ici même il y a deux ans). Mais tous seraient à citer pour leur engagement.

Pour finir, je dirai que j'ai surtout apprécié le bon goût du spectacle. Combien de fois en effet doit-on supporter dans certaines productions d'opérette ou de comédie musicale, des "adaptations" contemporaines, parfois des jeux de mots douteux, ou des numéros d'acteur tirant la couverture à eux, qui ternissent l'ensemble. Rien de celà ici, un vrai travail de troupe, et puis, on est vraiment transporté dans une autre époque (pas toujours drôle), un vrai voyage, un vrai rêve...

Pierre-Emmanuel Lephay

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