SLY, MON MARI !
Ermanno. Wolf-Ferrari est aujourd'hui
un compositeur bien oublié, dont quelques amateurs ne connaissent
que deux comédies "Il Segreto di Susanna" et "I Quattro Rusthegi
î. Le besoin pour certains ténors finissants de trouver des oeuvres
à la mesure de l'usure de leurs moyens, nous vaut la résurrection
de "Sly î, ouvrage monté il y a qualques années pour José
Carreras, et tout récemment pour Placido Domingo dont c'est le 119
ème rôle. Allemand par son père et italien par sa mère,
Wolf-Ferrari est un homme entre deux cultures : wagnérien de coeur,
ayant étudié la composition à Munich, son "Sly î,
qui vient après ses premiers ouvrages légers, subit l'influence
du vérisme triomphant. L'ouvrage n'étant guère connu,
je ne crois pas inutile d'en résumer le livret :
Acte I :
Scène de genre dans une auberge
londonienne où quelques buveurs invétérés essaient
de boire sans payer leurs tournées (on se croirait au début
des Contes d'Hoffmann). Arrive Dolly, maîtresse du Comte de Westmoreland,
qui vient se reposer des fatigues de la cours: on remarque sa beauté
et sa dignité, peu courante en ces lieux. Le Comte arrive pour la
ramener au palais, mais il accepte de rester un peu. Le poète et
ivrogne Christopher Sly entre et y va de l'inévitable chanson à
boire : il vient d'échapper au flic Snare qui le cherche pour le
mettre en prison pour dettes (on entend le chant de Snare qui menace de
le capturer). Sly finit par tomber ivre mort et le Comte décide
de lui jouer un bon tour: il le fait emmener dans son palais: quand il
se réveillera, on lui fera croire que c'est lui le propriétaire
des lieux.
Acte II.
Au palais, Westmoreland et ses serviteurs
attendent le réveil de Sly. Celui-ci pense d'abord rêver,
puis se laisse convaincre par Westmoreland, déguisé en serviteur,
qu'il est tombé dans une sorte de coma pendant 10 ans. On lui présente
Dolly comme son épouse fidèle et dévouée: il
en tombe immédiatement amoureux, of course. Westmoreland met fin
au court duo d'amour en reprenant l'air du policer Snare: réveil
brutal de Sly, grosse rigolade du Comte. Quand le comte a fini de s'amuser
et comme l'autre gueule toujours, il le fait jeter au fond du cellier (faut
pas jouer avec l'homme).
Acte III.
Sly est convaincu de l'amour de Dolly,
mais la sait au main du Comte: il se suicide avec un tesson de bouteille
(un vieux bordeaux, quel gâchis) après que l'ANGE DE LA MORT
(Brrrrrrrr) soit venu danser autour de lui (scène burlesque). Arrivée
de Dolly: "je t'aime", "pardonne-moi", "ah ! je meure (piano)", "maledizionne
(si naturel urlando furioso)".
La routine quoi.. .
Sly" restera difficilement comme un
chef d'oeuvre outrageusement négligé : c'est néanmoins
un ouvrage solide, attachant, qu'on peut bien entendre une fois ou deux
dans sa vie de mélomane. Il faut dire qu'on ne sait pas trop ce
qu'on regarde. Le livret est typiquement vériste, mais la musique
reste assez classique, plus proche d'ailleurs de la déclamation
de Moussorgsky que de Wagner. Les premier et deuxième actes sont
dans la veine tragi-comique ; le troisième est franchement noir
: le soliloque de Sly contraste avec l'agitation du début (je vous
renvoie à la distribution ci-dessus pour les seconds rôles
intervenant au premier acte !). Sans doute des écoutes successives
permettraient-elles de corriger ce jugement.
Martha Domingo, ancienne soprano-ayant-fait-un-peu-d'études-de-théâtre,
s'est mise à la mise en scène il y a une dizaine d'années
: elle reconnaît humblement qu'elle le doit au nom illustre de son
mari. Sans être révolutionnaire (du moins vue par des européens),
et malgré quelques emprunts, cette production n'est pas indigne
et tranche avec les productions réalistes récentes du Metropolitan
: elle réussit à donner une certaine homogénéité
à l'ensemble, dans une approche privilégiant le côté
poétique. Pour l'occasion, Placido est en grande forme : le rôle
n'est pas très long, la tessiture lui convient (encore que je suis
prêt à parier qu'il y a eu quelques aménagements).
Pour l'interprétation, on se contentera d'une resucée d'Hoffmann.
Maria Guleghina n'est pas trop à l'aise : pour elle, le rôle
est au contraire un peu trop grave (par voie de conséquence, elle
a du mal à sortir son aigu final). Juan Pons est au contraire très
à l'aise, campant un personnage ionique et irresponsable. Marco
Armiliato se voit confiée la direction de cet ouvrage assez difficile
à mettre en place et s'en tire remarquablement bien.
Placido Carrerotti