La Sonnambula de Bellini est
très difficile à incarner. Plus discrète que ses soeurs
Norma ou Elvira (I Puritani), presque insaisissable dans sa sincérité
naïve, plus touchante dans son désespoir, Amina demande une
présence diaphane, troublante, l'innocence de la jeunesse et, par-dessus
tout, cette infaillible technique vocale qui fait se pâmer les foules
avides d'exploits et de "contre-machins" vertigineux.
Dans cette tendre élégie
rustico-helvétique, le Maître de Catane épanche au
mieux toute son ardeur mélodique, comme si pour lui le rêve
éveillé permettait de surmonter les passions humaines et
d'accéder ainsi à une sorte de sérénité
contemplative.
Loin de certaines horreurs visuelles
qui sont monnaie courante en ces temps troublés, et sur sa lancée,
celle d'une audace éclectique qui lui fait grand honneur, Renée
Auphan et son équipe phocéenne ont prouvé encore une
fois que l'on peut très bien, faute de réels moyens, mais
avec talent, intelligence, simplicité, passion, amour du métier
bien fait tout simplement, réussir une version de concert.
L'adroite mise en espace de Clovis
Bonnaud permet ainsi une lecture transparente du livret, laissant au chant
et à la musique de Bellini la première place. Tours de force
de l'entreprise : donner une belle leçon à certains metteurs
en scène qui prennent l'opéra pour une séance de torture
cérébrale ou masturbatoire et rendre vraisemblable une histoire
jusque là traitée scéniquement presque toujours dans
la plus rebattue des conventions ou pire, l'amateurisme folklorique.
Nous étions tous venus pour
la belle, la grande, l'unique, la pyrotechnique June Anderson. Elle ne
nous a pas déçu : pertinence du récitatif, pathétisme
sans pathos, timbre limpide, style élégant et pur, vocalises
irréprochables, perfection du trille, aigus survoltés. Un
feu d'artifice vocal de tous les instants. L'ovation finale ? A l'aune
de son talent : immense.
L'entourage, parfait, comme toujours
à Marseille, ne pâlit pas un instant devant la diva américaine.
Martine Mahé dessine une Mère
Teresa juste de ton, ferme de timbre et Fabiola Masino prête à
la vindicative et jalouse Lisa une voix un rien acidulée, mais d'une
franche et sympathique juvénilité.
Les autres révélations
- comment fait donc Renée Auphan pour découvrir tous les
mois de nouvelles et belles voix ? - resteront sans conteste Bruce Sledge
(Elvino) et Tigran Martirossian (Rodolfo).
Pour le premier, mixez les voix de
Gedda et Vanzo : de beaux moyens naturels, un pastel belcantiste séduisant,
généreux, électrisant, frais, libéré,
conquérant.
Le deuxième pourrait bien devenir
le successeur des Ramey ou Alaimo. Simplement somptueux ! Voici un Comte
racé, très smart, sûr de sa séduction,
de son pouvoir. La basse arménienne nous renvoie avec nostalgie
aux années soleil des Siepi, Ghiaurov. Sa basse de poids au bronze
sombre, profond, se reçoit tel un uppercut en pleine figure.
Dans la fosse, Frank Beermann dirige
consciencieusement les choeurs et l'orchestre de l'Opéra de Marseille,
dans un modèle d'équilibre et de sensibilité. En totale
symbiose avec son plateau, le maestro alterne délicatesse et volupté
et rend ses lettres de noblesse à une partition trop souvent tirée
vers la pire des opérettes.
Christian COLOMBEAU