Rossinissimo
Après un Barbiere di Siviglia
éblouissant de musicalité, de "vocalità", reverdi
par une mise en scène humoristique, intrépide mais pertinente
; après le somptueux mélodrame Bianca e Falliero,
monté avec le faste vénitien voulu par l'action ; après
une reprise de La Gazetta dans la production ingénieuse et
avenante de Dario Fo, on reste abasourdi d'avoir - en trois jours - dévoré
des yeux et des oreilles tant de virtuosité.
À 22h, ce vingt et un août,
le concert de clôture est sur le point de commencer. On se prépare
à un bonheur de plus - rare chez Rossini : l'émotion pure.
Dans le programme de ce glorieux Stabat Mater, Alberto Zedda le
souligne, et l'explique ainsi : "Sous le signe de l'inspiration religieuse,
Rossini abandonne la réserve et la pudeur qui l'avaient toujours
freiné dans l'expression des sentiments pour se laisser enfin submerger
par un chant d'une grande tension émotive, à caractère
passionnel et humain. (...) La douleur de la Mère, le mystère
resplendissant du Sacrifice doivent lui avoir semblé des événements
suffisamment grands et lointains pour écarter tout risque de sentimentalisme.
Il faut dire qu'avant ce Stabat et la Petite Messe, Rossini
ne s'était jamais aventuré dans le vérisme des Romantiques,
qu'il ne s'était jamais approché de si près d'un langage
réfuté par lui : celui de ses contemporains qui l'avaient
réduit au silence." (traduction personnelle).
Le Stabat Mater dont les six
premiers numéros furent, on le sait, commandités par un prélat
espagnol en 1831-1832, ne fut créé dans sa version complète
qu'en 1842, à Paris, plus exactement au théâtre des
Italiens. Le succès immédiat se perpétue depuis. Dense
et rigoureuse, l'oeuvre se déploie dans un bel équilibre
entre voix et instruments, élan dramatique et ferveur religieuse.
À plusieurs reprises - en particulier dans les quatre dernières
parties composées plus tardivement -, la force dramatique et l'émotion
n'ont rien à envier au meilleur Verdi.
Sous la baguette experte et sensitive
du Maestro Zedda - dirigeant bien sûr sans partition - l'excellent
orchestre du Théâtre communal de Bologne et le remarquable
Choeur de Chambre de Prague savent rendre toutes les nuances de ce chef-d'oeuvre
rossinien. Les parties solistes sont bien tenues par quatre jeunes chanteurs
qui gagneront encore à mûrir. Bénéficiant de
la prédilection de Rossini pour la tessiture de contralto, dont
elle est proche, Marianna Pizzolato trouve, surtout dans sa cavatine,
quelques beaux accents expressifs qui font remarquer ses qualités.
Après la puissante introduction
"Stabat Mater dolorosa", se succèdent, sans jamais que l'inspiration
ne faiblisse, airs, duos, choeurs, jusqu'à "In sempiterna saecula.
Amen", déchirante fugue précédée d'un long
morceau a capella, saisissant de fluidité dans les passages
de voix d'un registre à l'autre. Il devient difficile de retenir
ses larmes. Mais quand le Maestro Zedda, totalement habité par cette
musique, dans un large mouvement de tout son corps agile, impose un silence
qui se prolonge : le public explose de joie. Il fait tant et si bien qu'il
sera gratifié d'une seconde exécution de l'extraordinaire
final.
Brigitte CORMIER