C O N C E R T S
 
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TOULOUSE
08/10/2006
 
Andrew Schroeder : Barak/ Janice Baird : La Femme
© Patrice Nin

Richard STRAUSS (1864-1945)

DIE FRAU OHNE SCHATTEN

Opéra en trois actes
Livret de Hugo von Hofmannsthal

Mise en scène, Nicolas Joel
Décors, Ezio Frigerio
Costumes, Franca Squarciapino
Lumières, Vinicio Cheli

Der Kaiser, Robert Dean Smith
Die Kaiserin, Ricarda Merbeth
Die Amme, Doris Sopffel
Der Geisterbote, Samuel Youn
Ein Hüter der Schwelle des Tempels/Die Stimme des Falken, Silvia Weiss
Erscheinung eines Jünglings, Martin Mühle
Eine Stimme von Oben, Qiu Lin Zhang
Barak, Andrew Schroeder
Sein Weib, Janice Baird
Der Einäugige, Hans-Peter Scheidegger
Der Einarmige, Gregory Reinhart
Der Bucklige, Ricardo Cassinelli
Erste Dienerin, Gersende Dezitter
Zweite Dienerin, Zena Baker
Dritte Dienerin, Elsa Maurus

Choeur et maîtrise du Capitole
Direction, Patrick Marie Aubert

Orchestre National du Capitole
Direction musicale, Pinchas Steinberg

Toulouse, le 8 octobre 2006

Pas besoin d’un ombre pour triompher


La nouvelle production de La Femme Sans Ombre que le Capitole affiche en ce début de saison est une splendeur sonore et visuelle. Le plateau réunit des chanteurs qui ont les moyens de rôles relevant de la gageure par leur ambitus et leur durée, qui les soutiennent avec vaillance et les interprètent avec justesse dans chacun de leurs aspects. Guidé souverainement par Pinchas Steinberg, l’orchestre est à la fois homogène et limpide, et l’équilibre entre l’opulence sonore et la finesse ne fléchit jamais. Le dispositif scénique permet de résoudre rapidement (quasiment) tous les incessants changements de lieu prévus, décors et costumes sont pertinents et suggestifs, couleurs et lumières composent des images fortes et/ou raffinées…Que demande le peuple ? Rien d’autre. Le résultat est cette fête, une leçon.

La scène est occupée, au lever du rideau, par de gigantesques degrés, inspirés peut-être par ceux conduisant à l’apadana du palais de Darius, car l’empereur et ses gardes évoquent par leur costume et leurs attitudes les hauts-reliefs achéménides. C’est l’espace où évoluent l’empereur et les siens. La présence de piliers massifs se perdant dans les hauteurs invisibles suggère l’existence d’un monde supérieur, comme au milieu de l’escalier deux grilles aux barreaux épais suggèrent celle de prisons souterraines. Ce domaine impérial semble reposer sur un socle épais de ténèbres. En fait, lorsqu’il s’élèvera vers les cintres on découvrira que ces ténèbres cachaient l’espace où vivent les hommes, auxquels cet empereur qui vit au-dessus d’eux ne prête aucune attention et que la nourrice de l’Impératrice, issue comme celle-ci du monde des Esprits, exècre.

Cet espace des hommes est représenté par l’atelier du teinturier Barak. Dans le fond, trois larges ouvertures circulaires révèlent trois bassins où bouillonnent probablement les teintures; une vapeur s’échappe en permanence des chaudières invisibles. Dans cette caverne où Barak s’échine au travail, puisque ses éclopés de frères ne lui sont d’aucune aide, sa femme bovaryse. Devant sa télévision surmontée d’une antenne intérieure, elle feuillette des magazines, fume, boit et fait montre d’un égoïsme proche de l’hostilité. Des passages permettent de communiquer avec les espaces extérieurs, à cour pour les hommes, à jardin pour les êtres différents que sont la nourrice et l’impératrice, avec des pénombres propices à la cohabitation du merveilleux et du prosaïque. Ainsi la machinerie et des interventions d’accessoiristes pendant les interludes musicaux prévus à cet effet permettront le va-et-vient entre les mondes prévu par la structure narrative.


Robert Dean Smith : L'Empereur © Patrice Nin

Au dernier acte, lorsque Barak et sa femme, sauvés parce qu’ayant compris qu’aimer, c’est être responsable de l’autre, rejoindront le couple impérial reconstitué (grâce à l’accession/ascension de l’impératrice à l’humanité par le biais de la compassion et de l’altruisme) sur les gradins réservés jusque là aux puissants, on peut lire dans ce tableau aussi bien la splendide image multicolore d’un paradis peut-être inspiré par les miniatures mongoles ou persanes, les mosaïques byzantines ou les visions colorées de Klimt que l’avènement politique d’un monde où les rois ne pourront survivre que s’ils abolissent la distance qui les séparait des humbles, que s’ils accueillent ces derniers à leur niveau, que s’ils découvrent les qualités et la noblesse des simples mortels.

Cette extrapolation, les dates de composition et d’exécution de l’œuvre l’autorisent à tout spectateur un peu cultivé. Certains metteurs en scène, qui postulent la chose impossible, se font un devoir de nous ramener à la conscience historique. Nicolas Joel se contente, une fois encore, de laisser parler l’œuvre, et son travail libère les connexions qu’elle entretient avec son époque et avec la nôtre alors même qu’il semble les dédaigner. Comment, lorsque l’actualité est aux sous-hommes et à la fracture sociale, pourrait-on ne pas percevoir les échos de ce message éthique ? Mais, justement, il ne nous est pas assené : il émane du contenu à travers une vision transparente bien que fouillée – à titre d’exemple pour la direction d’acteurs, l’impératrice qui bien qu’en fond de scène et dans la pénombre observe Barak quand elle découvre avec surprise cet humain et sa façon d’aimer – et d’un raffinement où les références esthétiques composent d’un tableau à l’autre une alliance subtile entre l’Orient et l’Occident grâce aux couleurs et aux formes des costumes et des décors, que les éclairages savants dosent ou magnifient.


Ricarda Merbeth : L'Impératrice / Robert Dean Smith : L'Empereur
Janice Baird : La Femme /Andrew Schroeder : Barak © Patrice Nin


Tous les interprètes, sans exception, sont à louer, des seconds rôles au quintette de premier plan. Premier Barak pour Andrew Schroeder, naguère brillant Mandryka ; pour l’anecdote, le souvenir de sa chute dans l’escalier d’Arabella subsiste, à en juger par les précautions lorsqu’il descend le degré monumental. Patience, courage, tendresse, révolte, toute l’humanité sublimée du personnage passent dans sa voix avec une justesse confondante pour une prise de rôle. Robert Dean Smith, l’Empereur, d’abord personnage de conte stéréotypé parvient à exprimer la sensibilité aux autres qu’il découvre grâce à l’humanité choisie par sa femme.


Robert Dean Smith : L'Empereur / Ricarda Merbeth : L'Impératrice
© Patrice Nin

Ricarda Merbeth rend sensible avec une exquise exactitude les étapes de l’évolution du personnage, et trouve les couleurs correspondantes, alliant noblesse et féminité. Doris Soffel est vénéneuse à souhait, effrayante meneuse de jeu qui se joue des sauts effarants de l’aigu au grave et semble douée du souffle inépuisable propre aux extra-humains. Janice Baird lui tient la dragée haute : est-ce dans la frustration que la teinturière puise sa vigueur ? Enfermée en elle-même et comme aveugle aux qualités et aux valeurs représentées par son époux, elle est hargneuse et déterminée, avant que la peur ne serve de révélateur et ne l’amène à s’ouvrir et à s’épanouir. Au-delà des performances vocales, des graves profonds, des aigus tranchants et dardés, ces trois cantatrices sont de superbes interprètes.

Le finale en septuor qui clôt l’acte II ayant recueilli un triomphe, celui de l’acte III soutiendrait-il la comparaison ? La question ne se posa pas longtemps : au quatuor vocal formé par les deux couples s’ajoute le chant de la maîtrise invisible, qui donne à l’ascension morale des personnages une aura mystique. La musique alors atteint à l’ineffable…Dommage que les incontinents de l’applaudissement aient perturbé l’extase ! Ainsi, dans cette apothéose visuelle et sonore s’achève cette admirable production, nouveau joyau de la collection du Capitole
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Maurice Salles



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