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BARCELONE
09/12/03
Edita Gruberova
Hervé le Cunff  )
Gaetano DONIZETTI

Maria Stuarda

Tragédie lyrique en 3 actes, 1835
Livret de Giuseppe Bardari d'après la traduction italienne d'Andrea Maffei de Maria Stuart de Friedrich von Schiller
 
Direction musicale : Friedrich Haider

Sonia Ganassi (Elisabetta)
Juan Diego Florez (Leicester)
Edita Gruberova (Maria Stuarda)
Simon Orfila (Talbot)
Angel Odena (Cecil)
Ana Nebot (Anna)

Orchestre Symphonique et Choeurs du Grand Théâtre du Liceo
Grand Théâtre du Liceo de Barcelone
9*, 13, 17, 20, 24 novembre 2003

(lors du concert du 24 novembre,
Carolyn Sebron interprétait Elisabetta
et Reinaldo Macias tenait le rôle de Leicester)



La première de cette série de représentations en version de concert de Maria Stuarda a été une soirée exceptionnelle. Des 70 opéras que Donizetti a composé, 3 sont souvent considérés comme faisant partie d'une "trilogie Tudor" : Anna Bolena, Roberto Devereux et Maria Stuarda. Edita Gruberova avait déjà interprété les deux premiers en version scénique au Liceu de Barcelone, avec un immense succès. Il est un peu dommage que Maria Stuarda n'ait droit qu'à une version de concert, tous les interprètes connaissant parfaitement leur rôle, au point de chanter sans avoir recours à la partition. C'est peut-être l'oeuvre de la trilogie qui pourrait le moins en pâtir, l'intrigue se résumant à une brève, mais intense rencontre entre Elisabeth et Mary Stuart, et à la condamnation à mort de celle-ci par l'inflexible reine d'Angleterre.

Composé en 1834, Maria Stuarda a connu un sort tourmenté avant de devenir une oeuvre fétiche des amateurs actuels de bel canto romantique. La première répétition d'orchestre est restée célèbre car les deux cantatrices en sont venues aux mains après que Giuseppina Ronzi, qui jouait Mary Stuart, traita sa partenaire de "vile bâtarde", conformément au livret, mais avec une telle conviction que celle qui jouait Elisabeth le prit comme une attaque personnelle ! Donizetti ne put les séparer qu'en leur disant que les deux Reines étaient des prostituées et qu'elles aussi n'étaient que deux prostituées. La censure intervint durant les répétitions suivantes puis les représentations furent interdites par ordre du roi Ferdinand. La malchance et la censure pesèrent à nouveau sur les quelques représentations qui eurent lieu à la Scala en 1835 avec une Maria Malibran malade. L'oeuvre sombra bientôt dans l'oubli avant de connaître de nouvelles représentations à Bologne en 1958.

L'absence de décors et de mise en scène est peu préjudiciable dans une salle aussi belle que le Liceu, immense boîte dorée à l'acoustique exceptionnelle. L'orchestre et les choeurs, dirigés avec professionnalisme par Friedrich Haider, occupent une surface immense et couvrent pourtant rarement les voix.

Nous connaissons déjà l'Elisabetta de Sonia Ganassi, depuis la parution d'une intégrale en CD et en DVD. Dès son air d'entrée, elle convainc par sa méchanceté aveugle et désabusée. On sait que cette reine ira jusqu'au bout, blessée dans son honneur de femme. Sa voix saine et chaude ne fait qu'une bouchée de la partition.

Beaucoup s'étaient déplacés pour voir Juan Diego Florez dans un rôle qui n'est pas celui qui lui permet de briller le plus dans le registre suraigu. Le ténor péruvien de 30 ans, qui obtient un grand succès partout où il se produit, a surtout l'occasion ici de retrouver Edita Gruberova, avec qui il avait chanté dans Semiramide. Son timbre frais et sa voix souple font merveille dans le rôle de Roberto. Ses facilités dans le registre haut lui permettent de terminer ses cabalettes sur des notes aiguës, comme Francisco Araiza dans l'enregistrement studio de Giuseppe Patané.

L'événement de la soirée demeure, sans grande surprise, la Mary Stuart époustouflante d'Edita Gruberova, accueillie dès son arrivée (au début du second acte) par des applaudissements. Celle que certains surnomment depuis des années "la reine du Liceu" fait preuve d'une santé vocale insolente, à bientôt 57 ans. Sa voix de colorature est tout simplement phénoménale. Une maîtrise parfaite de son instrument et une fréquentation intense du répertoire belcantiste lui permettent de sculpter chaque son avec un naturel confondant. Peu d'interprètes actuels sont capables de rendre justice à un répertoire qui demande plus d'individualités fortes et exceptionnelles qu'un beau travail d'équipe. Les piani aériens durant les récitatifs et les airs sont magiques. Les ornements des cabalettes, ponctués de suraigus d'une puissance inimaginable pour ce type de voix ,produisent un effet tel que le public ne peut que délirer.

Au-delà de la performance physique qui paraît aussi facile qu'impossible à réaliser pour un être humain, Edita Gruberova impose une reine d'Ecosse passionnante. Au lieu de n'en faire qu'une victime, elle interprète une Maria jalouse et fière, dont l'affrontement avec Elisabetta est insupportable. La fin du second acte est le sommet de la soirée : Ganassi et Gruberova sont tellement déchaînées, chacune dans leur haine égocentrique, qu'elle semblent sur le point de se jeter l'une sur l'autre ! Lorsque Gruberova lance avec exubérance et mépris son "vil bastarda, dal tuo piè !", un spectateur derrière moi s'écrie "brava !", ne sachant plus très bien s'il s'agit d'un concert ou d'une bagarre véritable. La strette finale qui suit provoque un délire qu'on a rarement l'occasion d'éprouver au milieu d'un concert. La tension est telle que sur le suraigu final - et interminable - de Gruberova la salle se déchaîne, n'attendant pas la conclusion orchestrale pour crier et applaudir à tout rompre. Plusieurs rappels seront nécessaires pour décider le public à profiter de l'entracte.

A l'issue d'un dernier acte tout aussi exceptionnel, vingt-et-une minutes d'applaudissements vinrent couronner ce concert inoubliable. Il est dommage que peu de pays profitent d'une personnalité artistique et d'une voix aussi extraordinaire que celle d'Edita Gruberova, dont le disque seul ne peut donner qu'un aperçu de l'impact au théâtre.
 
 

Anh Tuan Nguyen


Note : sur les circonstances de la composition et de l'exécution, lire sur la revue l'article de Yann Manchon :
http://www.forumopera.com/critiques/stuarda_viotti.htm
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