PÉCHÉS
MIGNONS
Après Dédé
et Là-haut en 1998, Le Sire de Vergy en 2000 et quelques
courageuses versions concertantes Salle Favart, Paris continue sa lente
redécouverte de l'étonnant répertoire d'opérettes
du début du XXème siècle.
Le cru 2005 est dans la bonne moyenne
avec cette résurrection de Ta bouche des mêmes Maurice
Yvain et Albert Willemetz à qui l'on devait déjà Là-haut.
Cette fois, l'intrigue et les dialogues sont d'Yves Mirande, auteur dramatique,
scénariste, cinéaste et acteur à l'occasion, mais
surtout homme
d'esprit.
L'opérette nous compte les déboires
de deux familles désargentées qui cherchent à redorer
leurs blasons respectifs par un beau mariage. C'est dans l'espoir de marier
sa fille Eva que la comtesse s๋est rendue à Truc-sur-Mer, accompagnée
de son domestique et amant.
Elle y rencontre le Comte du Pas de
Vis (qui est dans la même situation et conçoit les mêmes
espérances pour son fils Bastien), mais les deux anciens complices
comprennent vite leurs situations financières respectives.
Hélas, les deux jeunes gens
sont tombés amoureux l'un de l'autre et, se croyant promis au mariage,
ont déjà "pris un pain sur la fournée". On les sépare
d'urgence.
A l'acte suivant, la comtesse, qui
a épousé son domestique enrichi aux courses (1),
est venue se reposer à Fric-les-Bains, flanquée de sa fille.
Le comte du Pas de Vis a lui aussi
épousé sa domestique enrichie grâce à un bel
héritage. Son fils Bastien a, quant à lui, fait un beau mariage
d'argent. Mais bien entendu, les jeunes gens sont toujours amoureux et
reprennent du service.
Les cloisons de l'hôtel n'étant
pas particulièrement épaisses, les amants ont la surprise
de deviner les ébats simultanés de la femme de Bastien avec
son cousin. Furieux, le jeune homme disparaît... et divorce de sa
riche et laide épouse aux torts de celle-ci !
Au dernier acte, tout rentre dans l'ordre
; Eva retrouve Bastien à Pouic-Les-Flots ainsi que nos nobliaux
et leurs domestiques, appariés "par classes sociales" cette fois.
Sur cette intrigue joyeusement amorale
et légèrement scabreuse, Maurice Yvain a composé une
partition alerte et vive, un peu jazzy à l'occasion, moins
brillante toutefois que celle de l'irrésistible Là-haut dont
nombre de couplets étaient immédiatement mémorisables.
Les temps sont durs, et il faut se
contenter d'une adaptation orchestrale pour une douzaine d'instruments...
et moitié moins d'instrumentistes ! Le résultat évoque
parfois la musique de cirque : légèreté et insouciance
ne sont pourtant pas synonymes de vulgarité.
Dans ces conditions, il faut saluer
le talent de Benjamin Lévy qui fait tout son possible pour rendre
une certaine dignité à l'exécution musicale.
Les chanteurs-acteurs-danseurs qui
composent la troupe de la compagnie "Les Brigands" sont tous excellents.
Saluons particulièrement l'inénarrable comte du Pas de Vis
de Gilles Bugeaud et l'Eva d'Emmanuelle Goizé, particulièrement
bien chantante. J'ai également apprécié le Bastien
de Sébastien Lemoine qu'on croirait sorti d'un film des années
trente.
Les "3M" (Marguerite, Mag et Margot)
sont en revanche plus discutables, leur articulation déficiente
rend souvent incompréhensibles leurs interventions : c'est d'autant
plus regrettable qu'elles sont chargées d'exposer l'action ou de
commenter des événements inconnus des spectacteurs.
L'articulation représente en
effet un point essentiel de ce type d'ouvrage ; surtout avec un auteur
de lyrics (2) tel qu'Albert Willemetz dont les
textes sont brillants et plein d'esprit et dont la prosodie joue à
plaisir avec les rythmes syncopés d'Yvain.
La production est une réussite
: superbe décor (unique mais réservant mille surprises),
costumes délicieux et drôles à l'occasion, s'inspirant
des "années folles", éclairages dignes de Broadway, et une
mise en scène alerte et vive, un peu décalée, et réglée
au quart de poil.
Le spectacle part en tournée
dans toute la France : ne le manquez pas !
Placido CARREROTTI
Notes
1. Le mari se nommant
Jean Leduc, la comtesse devient légitimement... duchesse !
2. Par opposition au
"livret", les lyrics sont écrits sur une musique déjà
composée.
Exemple de cette souplesse d'écriture
avec le "tube" qui donne sont titre à l'ouvrage :
BASTIEN. - Ta bouche a des
baisers si bons,
EVA. - Si doux,
BASTIEN. - Si longs,
EVA. - Si fous,
BASTIEN. - Si frais,
EVA. - Si tendres,
BASTIEN. - Et tu sais, de loin, si
bien la tendre,
EVA. - Qu'on ne peut oser la refuser.