La Mort de Tancredi
Tancredi est le dixième
opéra sur trente-neuf composés par Rossini qui n'avait alors
que 21 ans.
A l'occasion de L'Occasione fa
il ladro, il avait obtenu de La Fenice la commande d'un opera seria
sur un livret choisi pour lui : une adaptation du Tancredi de Voltaire
(produite en privé en 1759 à Ferney).
La première représentation
musicale du 6 février 1813 à La Fenice joua de malheur :
deux prime donne étant souffrantes, la vraie première eut
lieu seulement le 11 février avec la contralto Adelaïde Malanotte
(Tancredi), Elisabetta Manfredini (Amenaïde) le ténor Pietro
Todran (Argirio) et la basse Luciano Bianchi (Orbazzano) .
Cette oeuvre, la préférée
de Stendhal qui y percevait à la fois la continuité des styles
précédents et une amorce de la sensibilité romantique,
marqua pour Rossini le début d'une renommée qui ne se démentira
pas.
L'action se déroule à
Syracuse en 1005 pendant la lutte féroce entre les Sarrasins et
l'empire byzantin en Sicile. Pour sceller l'alliance entre leurs factions
rivales face à Solamir, roi des Sarrasins, Argirio offre à
Orbazzano la main de sa fille Aménaïde. Mais celle-ci aime
le jeune Tancredi, autrefois injustement accusé de fidélité
à la cour byzantine et banni de Syracuse. Après de nombreuses
péripéties ( fausse trahison, message mal délivré)
l'action se termine par un duel à mort "pour les beaux yeux d'Aménaïde"
entre Orbazzano et Tancredi.
Deux finales ont été
composées par Rossini. Celui de Venise où la victoire des
Sarrasins est totale, Tancredi tue Solamir qui, avant de mourir, a confirmé
l'innocence d'Aménaïde. Les réjouissances sont générales
et conjugales. Celle de Ferrare, d'une plus grande fidélité
à Voltaire, rétablit la mort du héros. Cette dernière
a été choisie par le Festival Rossini dans sa production
d'août 2004 à Pesaro.
Gregory Kunde
Dans la mise en scène déjà
proposée en 1999, Pier Luigi Pizzi se montre selon son habitude
d'un goût sobre et très traditionnel : d'immenses colonnes,
des escaliers qui s'escamotent selon l'action intérieure ou extérieure.
L'emprisonnement d'Aménaïde, accusée à tort de
haute trahison, est suggéré par quatre grilles entourant
son lit. La mort de Tancredi est particulièrement émouvante
par sa simplicité, de même que son chant d'adieu à
Aménaïde dans un souffle pendant qu'Argirio leur joint les
mains en signe de mariage. Il meurt, conscient d'être aimé
et satisfait d'avoir défendu triomphalement sa patrie.
Le rôle-titre devait être
pour Vesselina Kasarova, qui se serait blessée et aurait dû
abandonner au début des répétitions. Elle fut remplacée
trois semaines avant la première par Marianna Pizzolato,
auparavant prévue en Isaura dans cette production. Cette jeune cantatrice
de 27 ans qui fit ses études musicales à Parme, est peu connue
du public mais elle a pourtant reçu un accueil triomphal, et à
juste titre. Sa voix de mezzo est belle, bien placée, son aigu sûr
et son médium consistant et elle dispose d'un grave bien sonore.
Elle se déplace sur scène avec aisance et souplesse. Son
grand air "di tanti palpiti", que tant de "grandes" ont interprété
en morceau de bravoure, a été donné avec délicatesse
et sûreté.
Argirio était campé
par Gregory Kunde, ténor américain entendu récemment
à Paris dans Benvenuto Cellini à la Maison de la Radio et
dans Les Troyens (Enée) au Châtelet (retransmis à la
télévision). Chanter Berlioz et Rossini tient de la performance,
bien que Kunde déclare que pour lui les partitions appartiennent
au même univers vocal ! Il est excellent et n'escamote aucun aigu,
au contraire ! Une telle diversité démontre qu'un ténor
en pleine possession de sa voix peut passer d'un rôle de lyrico "alla
francese" à celui d'un rossinien bien italien...
Patricia Ciofi, également
à l'affiche de Benvenuto Cellini livre une Aménaïde
tout en douceur, mais déterminée à rester fidèle
à son amour. Elle avait déjà particulièrement
marqué le rôle de Lucie (Lucie de Lammermoor, la version
français du chef-d'oeuvre de Donizetti), mais révèle
ici encore plus d'ampleur vocale, emplissant le Palafestival - espace pourtant
peu propice aux représentations théâtrales et vocales
- même dans les notes suraiguës. Au 1er acte, dans son duo avec
Tancredi, au moment où elle l'exhorte à quitter Syracuse
("L'aura que interno spiri "), le metteur en scène a choisi de les
placer chacune de part et d'autre du plateau, produisant ainsi un effet
de stéréo très réussi grâce à
la puissance, l'harmonie vocale et à la synchronisation bien réglée
des artistes.
Né à Parme, basse de
grande envergure, Marco Spotti sait traduire l'ambition et la traîtrise
qui habitent le personnage d'Orbazzano. La voix sonne sans effet inutile,
le grave n'est pas poitriné, mais clair et bien timbré.
Les rôles secondaires sont
honorablement tenus, particulièrement Isaura, servie par un mezzo
polonais, Agata Bienkowska, remarquée dans son solo.
Victor Pablo Perez assurait
la direction musicale. Issu du conservatoire de Madrid, il s'est déjà
produit avec le London Philharmonic, le Royal Philharmonic, le Munich Philharmonic,
l'Accademia di S.Cecilia, le Maggio Fiorentino, et apparaissait pour la
première fois au Festival Rossini. Peut-être aurait-il pu
insuffler un peu plus de vigueur à certains passages, mais il a
sans doute voulu privilégier l'émotion plutôt que le
spectaculaire.
E.G. SOUQUET