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VARSOVIE
08/12/2006
Ewa Podles
© DR
Gioacchino Rossini (1792-1868)
TANCREDI
Melodramma eroico in due atti
Livret de Gaetano Rossi d'après la tragédie de Voltaire
Création Venise, La Fenice (6 février 1813)
Mise en scène : Tomasz Konina
Scénographie et décors : Boris Kudlicka
Costumes : Zofia de Ines
Lumières : Stanislaw Zieba
Argirio : Yeghishe Manucharayan
Tancredi : Ewa Podles
Amenaide : Georgia Jarman
Isaura : Katarzyna Suska
Orbazzano : Mieczyslaw Milun
Roggiero : Elzbieta Panko
Direction musicale : Will Crutchfield
Chœur et Orchestre : Opera Narodowa
Varsovie, Teatr Wielki, 8 décembre 2006
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Quand Podles palpite en Pologne…
Les principales œuvres lyriques de Rossini ont été
représentées en polonais du vivant de leur compositeur.
Premier de la liste, dès 1818, Tancredi/Tankred,
cinq ans après le mémorable triomphe de Venise ! Un autre
Tankred est signalé au Teatr Wielki en 1866. Mais, il a fallu
attendre l’an 2000 pour que les Polonais entendent Ewa Podles
chanter chez elle son rôle favori dans cette production de Tomasz
Konina, sous la baguette experte d’Alberto Zedda, directeur
musical de la Fondation Rossini. Six ans plus tard, si l’on se
réfère à l’élogieuse critique locale1
et à l’ovation du public à la fin du spectacle,
cette reprise a rencontré un grand succès dans
l’immense salle de presque 2000 places — remodelée
en 1965.
Au pupitre, le jeune chef new-yorkais Will Crutchfield, dans la
distribution, deux chanteurs états-uniens : Georgia Jarman,
Aménaide, et Yeghishe Manucharayan, d’origine
arménienne, Argirio. Cette greffe américaine n’est
d’ailleurs pas fortuite. Un Tancredi en version de concert ayant
déjà l’été dernier réuni ces
artistes et Podles non loin de New York au festival de Caramoor dont
Crutchfield est directeur musical pour l’opéra.
Sur la scène nationale polonaise, l’une des plus larges
d’Europe, la soprano américaine s’est
révélée une touchante Amenaide de charme. Sa ligne
de chant est bien conduite et son timbre fort agréable —
à condition d’oublier quelques suraigus
légèrement éraflés au premier acte. Georgia
Jarman vocalise avec légèreté et distille
d’exquis diminuendi, en particulier dans l’aria
« No, che il morir non è si barbaro per
me ». Le jeune ténor Yeghishe Manucharayan chante
correctement toutes les notes du rôle difficile d’Argirio,
mais ses mouvements manquent de coordination : bras et jambes semblent
bouger trop lentement ou à contretemps par rapport au chant. On
l’apprécie surtout au début du deuxième acte
dans son grand air élégiaque, presque romantique avant la
lettre. Côté polonais, Katarzyna Suska chante d’une
voix agréablement modulée le rôle d’Isaura et
une mention spéciale est à réserver à la
soprano Elzbieta Panko pour un élégant Ruggiero chantant
fort joliment son aria di sorbetto.
Proche des musiciens, Will Crutchfield accompagne lui-même les
récitatifs au clavecin. Dès l’ouverture, sur une
vision de champ de bataille dévasté où
s’ébattent innocemment deux gamins espiègles, il
s’attache à installer l’humeur inquiétante et
martiale appropriée. Mais, plutôt que de se jeter à
corps perdu dans le tourbillon rossinien trépidant, solennel et
se limiter au sentiment d’urgence qu’il procure, le chef
américain s’efforce de cueillir, en plus, les subtiles
intentions qui sous-tendent la partition. Dans la fosse, le chœur
d’hommes, pareil à ceux des tragédies antiques,
commente l’action avec force et relief.
Malgré la modernité des élégants
dispositifs scéniques de Boris Kudlicka, on peut observer une
certaine filiation avec l’esthétique d’Eisenstein,
en particulier dans l’utilisation graphique des piques lumineuses
maniées par les soldats chargés de repousser les
envahisseurs sarrasins. Les lieux de l’action : champ de
bataille, rivage sicilien où accoste Tancredi, parvis de
l’église, palais d’Argirio, prison d’Amenaide
et enfin paysage de montagne au coucher du soleil ne sont
qu’esquissés. Cependant, le temps nécessaire aux
changements de décors est bien trop long pour ne pas rompre la
tension dramatique et la continuité musicale.
Les costumes ne manquent ni d’allure ni de séduction. Un
soin particulier a été apporté aux silhouettes
vues souvent de dos au début des scènes. Le manteau
à longue traîne de Tancredi lui confère une grande
noblesse. L’une des charmantes robes d’Amenaide laisse
entrevoir le galbe d’un mollet en accord avec la rondeur de la
voix.
La relation entre Amenaide et Tancrède transparaît avec
force grâce au jeu expressif de Podles qui sait entraîner
sa partenaire dans de vrais échanges. Chaque regard, chaque
geste a un sens. Particulièrement remarquable : une caresse
esquissée qui se change en gifle rentrée ! Par
contre, si les déplacements sont correctement
réglés, les autres personnages semblent plutôt
déconnectés du drame. Argirio, trop juvénile,
n’a rien d’une figure paternelle. Orbazanno trop
âgé, physiquement absent, vocalement déficient, a
tout d’un barbon et rien d’un conquérant. Et, quand
survient l’épisode de la lettre adressée à
un Solamir fantôme, on se demande comment les spectateurs peu
préparés, peuvent saisir l’obscur ressort qui
mène au dénouement.
Bien qu’elle se soit quelque peu assombrie depuis son
enregistrement intégral de 1994 sous la direction
d’Alberto Zedda, la voix de Podles garde sa remarquable
agilité et toutes ses couleurs. La puissance des graves —
qu’elle profère avec un plaisir évident —
semble encore accrue, les aigus sont fulgurants et les ornements
toujours inventifs. Dans les récitatifs comme dans les arias,
chaque phrase, ressentie au moment même, sonne juste —
depuis l’arrivée joyeusement palpitante de Tancredi sur le
rivage sicilien jusqu’à sa mort tragique dans la montagne,
qui laisse le spectateur abasourdi d’émotion.
Entendre Ewa Podles sur scène dans ce rôle où,
au-delà de ce qui est écrit, elle ose prendre tous les
risques pour faire vivre son personnage avec son grand
tempérament d’actrice et ses immenses moyens actuels, est
une expérience qui vaut le voyage. En décembre 2007, le
Teatro Real de Madrid donnera en alternance les deux versions de
Tancredi. Barcellona chantera la fin joyeuse et Podles la fin tragique.
À vos agendas !
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