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COLOGNE
18/04/2008
Tannhäuser (Torsten Kerl) et Venus (Dalia Schaechter)
© Klaus Lefebvre
Richard Wagner (1813-1883)
Tannhäuser
Opéra en 3 actes, sur un livret du compositeur
Version de Dresde (1845)
Mise en scène : Jasmin Solfaghari
Décors : Frank Philipp Schlössmann
Costumes : Mechthild Seipel
Dramaturgie : Oliver Binder
Lumières : Hans Toelstede
Chef des chœurs : Andrew Ollivant
Tannhäuser : Torsten Kerl
Elisabeth : Camilla Nylund
Wolfram von Eschenbach : Miljenko Turk
Hermann, der Landgrave : Reinhard Dorn
Venus : Dalila Schaechter
Walther von der Vogelweide : Musa Nkuna
Biterolf : Daniel Henriks
Heinrich der Schreiber : Andrés F. Orozco Martinez
Reinmar von Zweter : Wilfried Staber
Un jeune pâtre : Susanne Niebling
Les quatre pages : Susanna Martin, Ibolya Nagy, Astrid Schubert, Marie-Line Sandle
Chœurs de l’Opéra de Cologne
Figurants de la scène de Cologne
Orchestre du Gürzenich de Cologne
Direction musicale : Markus Stenz
Opéra de Cologne, le 18 avril
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Elisabeth vs Venus
Grande habituée des scènes allemandes, Jasmin Solfaghari ne pratique pas pour autant le « Regietheater ». Son Tannhäuser
présenté depuis un mois à Cologne se
déroule certes dans un décor moderne, composé de
baies vitrées qui finissent par se briser et d’un
carrelage chirurgical, mais la direction d’acteur ne propose rien
de particulièrement sulfureux. Elle paraît même
sage, ne proposant guère de pistes pour explorer en profondeur
cet opéra sur l’art et les contestations auxquelles il est
confronté. Tous les thèmes évoqués par
Wagner (la religion, l’incompréhension, le tiraillement
entre deux femmes, mais aussi entre deux idéaux) sont
représentés, sans qu’aucun ne paraisse
particulièrement fouillé. Seules Venus et Elisabeth
bénéficient d’un traitement de faveur, et sont
traitées avec une certaine originalité : la
première n’est pas la maîtresse bafouée et
éplorée qu’on attendait, mais une femme sure de ses
charmes, qui met du temps à comprendre que Tannhäuser va
réellement la quitter – sa fureur, par la suite,
n’en est que plus impressionnante ; la seconde n’a
rien de la jeune fille tendrement éprise et presque
mièvre si souvent représentée. Elle possède
une sensibilité artistique aigue, qui fait d’elle la seule
à réaliser que Tannhäuser est un génie. La
différence qui oppose ces deux muses n’a donc plus rien de
la dichotomie entre le paganisme et la foi, ou entre la débauche
et l’ordre. L’une ne comprend pas que Tannhäuser ne
peut rester longtemps au même endroit, l’autre admire
suffisamment l’artiste pour accepter, résignée,
l’indiscipline de l’homme.
Camilla Nylund (Elisabeth)
© Klaus Lefebvre
Et comme pour surenchérir tragiquement le propos de Jasmin
Solfaghari, l’inégalité dramatique entre Venus et
Elisabeth s’étend jusqu’au plan vocal : Camilla Nylund,
voix ductile et implication sensible, présence rayonnante et
registres homogènes, réussit une très belle
Elisabeth tandis que Dalia Schaechter,
vedette maison, est mise à mal par la tessiture de Venus. Ici,
le bât blesse là où Nylund était
convaincante : les registres sont inégaux, et donc les
sauts d’octaves, douloureux. Reinhard Dorn est un noble Landgrave, au grave quelque peu élimé, et Miljenko Turk
est un émouvant Wolfram, dont la Romance, tendre et lunaire
emporte l’adhésion, comme par ailleurs l’ensemble
des rôles secondaires. Dans le rôle-titre, enfin, triomphe Torsten Kerl.
La voix est puissante, et le timbre, reconnaissable entre mille,
incroyablement charnu. Seule l’émission, parfois quelque
peu engorgée, pourrait laisser perplexe, si elle
n’était pas rattrapée par une excellente technique.
De ce bel instrument sortent des mots puissamment phrasés, qui
résonnent dans l’espace avec une éloquence
formidable, aussi rare qu’essentielle dans ce répertoire.
Les « hymnes à Venus » du I
s’élèvent déjà au plus haut niveau,
et jamais le long « Récit de Rome », au
III, n’aura passé si vite. Comme un bonheur n’arrive
jamais seul, le chanteur et le diseur sont alliés à un
acteur en grande forme, parfaitement possédé par la
quête de beauté et d’absolu de ce personnage entier
et passionné. Anthologique !
Dans la fosse, Markus Stenz
dirige la version de Dresde avec une belle lisibilité. On aurait
seulement pu attendre davantage de poésie, ou de force, enfin un
parti-pris. Cette clarté, empreinte de prudence, laisse au moins
au spectateur le loisir d’entendre (presque) toujours les
chanteurs, et d’apprécier les splendeurs de l’Orchestre du Gürzenich de Cologne,
à l’aise dans ce répertoire comme un poisson dans
l’eau ! Les chœurs ne sont pas en reste, qui
réalisent d’excellentes prestations à chacune de
leur apparition.
Clément Taillia
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