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PARIS
20/02/2008
Anne Sofie von Otter (Médée) & Paul Agnew (Thésée) © Alvaro Yanez
Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
THESEE
Tragédie mise en musique en un Prologue et cinq actes
représentée pour la première fois
devant la cour
à Saint-Germain le 15 janvier 1675
Paul Agnew, Thésée
Anne Sofie von Otter, Médée
Sophie Karthäuser, Æglé
Jean-Philippe Lafont, Égée
Jaël Azzaretti, Cérès, Cléone, une bergère
Nathan Berg, Mars, Arcas
Aurélia Legay, Vénus, Dorine
Salomé Haller, La prêtresse
Cyril Auvity, Bacchus, un plaisir, un berger
Orchestre et Chœur Le Concert d'Astrée
Emmanuelle Haïm, direction musicale
Jean-Louis Martinoty, mise en scène
Hans Schavernoch, décors
Sylvie de Segonzac, costumes
François Raffinot, chorégraphie
Fabrice Kebour, lumière
Mercredi 20 Février 2008
Théâtre des Champs-Elysées, Paris
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Perruques et diapositives
Lully a décidemment le vent en poupe. En effet, après l’extraordinaire Cadmus et Hermione
à l’Opéra Comique, c’est au tour de la
3ème tragédie lyrique du Florentin de retrouver les
honneurs de la scène hexagonale. Thésée
fut l’une des œuvres plus jouées du tandem
Quinault-Lully, et son succès repose sans nul doute sur un
livret particulièrement bien construit (que Haendel fera
retravailler pour son Teseo)
qui bénéficie d’une partition fastueuse et
variée. Après Alceste, la formule magique semble
rodée, avec son prologue à la gloire du Roi, ses ludiques
intrigues secondaires (Arcas, Dorine et Cleone), ses scènes de
batailles, ses divertissements galants ou encore son intermède
infernal. Mais la nouveauté réside dans le portrait
attachant de Médée, amante passionnée et
désespérée, qui préfigure l’ultime Armide.
Après son Alceste d’il y a presque dix ans, on attendait avec impatience le retour de Jean-Louis Martinoty
chez Lully. Le metteur en scène n’a guère
changé d’optique en prônant une lecture
théâtrale et baroquisante : devant des photos de
Versailles représentant la Chapelle Royale, la grande
perspective du Tapis Vert et du Grand Canal, la Galerie des Glaces, ou
encore un plafond à caissons des Grands Appartements, les
protagonistes évoluent en justaucorps, baudriers et perruques.
On louera avec enthousiasme la qualité des costumes
confectionnés par Sylvie de Segonzac,
notamment celui de Thésée directement inspiré
d’une tenue de campagne de Louis XIV, tout en déplorant
les éclairages trop cru de Fabrice Kebour (il est vrai
handicapé par un sol noir réfléchissant), et des
diaporamas géants qui brisent la ligne narrative en
forçant le spectateur à regarder ce qui rassemble
indubitablement à un home cinéma prétentieux.
Le Prologue traîne en
longueur, de même que le grand divertissement du quatrième
acte, et Martinoty meuble alors sans conviction la scène avec
une bande de saltimbanques de la comedia dell’arte,
discréditant totalement les compliments de rigueur
adressés au monarque ainsi que les interventions divines. En
revanche, l’acte premier est particulièrement
soigné, et l’idée du plan de Vauban utilisé
comme carte d’état-major très judicieuse, alors que
l’on a célébré en 2007 le tricentenaire de
son décès. Les passages aux Enfers sont également
très bien rendus, et la rupture de ton qu’ils induisent
avec l’introduction de trucages numériques et de monstres
inspirés des peintures de Bosch s’avère d’une
rafraichissante horreur. Le principal reproche que l’on adressera
à cette mise en scène stylée – outre les
gadgets numériques superflus - est sa froideur distanciée
où les personnages ne sont que de nobles silhouettes (ou des
enregistrements vidéo de ceux-ci) sans vie. Si l’on
excepte le magnifique monologue de Médée
« Dépit mortel, transport jaloux » (III,
V) et le début de la séquence infernale (fin du
3ème acte), force est de constater que jamais au cours de la
tragédie l’on ne s’inquiète réellement
du sort de nos héros emperruqués.
Anne Sofie von Otter
a offert une sublime incarnation de Médée. Personnage de
chair et de sang, femme vulnérable et troublée à
l’âme fière et emplie d’une bouillonnante
souffrance, la cantatrice a su composer un portrait d’une grande
finesse psychologique. En outre, son art de la déclamation - au
centre de la tragédie lyrique qui est avant tout du
théâtre chanté - laisse vibrer les consonnes,
respecte la prosodie et les « -e » muets,
éclaire le texte de la clarté qui tombe des
étoiles. Ce n’est hélas pas le cas de tous ses
partenaires, comme s’en plaignait notre voisine à
l’entracte qui réclamait des surtitres. Pourtant, Paul Agnew
campe un galant Thésée, peu conquérant mais
parfait galant homme en dépit d’un manque de projection et
d’aigus tirés. Son père et rival échoit
à Jean-Philippe Lafont, basse chaleureuse mais brouillonne. Et
l’on comprend que les deux hommes succombent au timbre argentin
et pur de Sophie Karthäuser qui n’a cependant pas les aigus transparents et dynamiques de sa suivante Cleone (Jaël Azzaretti). Nathan Berg,
à force de surjouer le guerrier Arcas et d’en faire une
veule caricature, finit par rendre sa ligne de chant approximative et
peu avenante. Enfin, on se réjouira des trop rares apparitions
de Salomé Haller, prêtresse grecque attifée en religieuse de Port-Royal.
L’orchestre et le chœur du Concert d’Astrée
n’étaient pas au meilleur de leurs formes, avec des
départs souvent décalés, et une certaine
sécheresse de ton qui ne leur est pas habituelle.
Inégaux, les choristes ont parfois fait montre d’une
cohésion et d’un entrain communicatifs (chœur de
triomphe de Thésée, scène infernale), mais les
parties étaient de temps à autre mal
équilibrées (acte premier notamment). De même,
l’orchestre a manqué d’ampleur et de souffle
dès l’ouverture saccadée, où le rythme
pointé et majestueux s’est mu en exercice claudiquant.
Alors que les bois et le continuo étaient charmants de couleur (le gambiste Atsushi Sakaï
en particulier), les cuivres ont rapidement laissé voir leurs
limites malgré de trompettes baroques (1) : les trilles sont
savonnés, le son plus toussotant que rutilant.
Ces relatives défaillances s’expliquent certainement par
un nombre insuffisant de répétitions. En effet, nous
avons pu assister à l’une d’entre elles le samedi
précédant la représentation, et la Marche des
Combattants comme les chœurs (« Il faut périr,
Il faut vaincre ou mourir ») étaient alors bien plus
convaincants, les choix interprétatifs d’Emmanuelle Haïm
très justes. La phalange n’a peut-être pas eu la
force de suivre son général…. Il faut donc
espérer que ces réserves ne sont dues qu’à
une préparation trop hâtive et que les futures
représentations rendront la splendeur entrevue de cette
œuvre qui fut jouée pas moins de 12 fois entre 1675 et
1779, et qui a été récemment enregistrée
par l’Orchestre du Festival de Musique ancienne de Boston sous la
double baguette de Paul O’Dette et Stephen Stubbs (CPO).
Viet-Linh NGUYEN
(1)
Instruments munis de trous dans le tube pour faciliter la justesse en
corrigeant les problèmes d’intonation, ces trompettes
représentent une solution de compromis par rapport aux
véritables instruments d’époque au jeu plus
difficile mais plus cuivré.
Prochaines représentations :
Paris, Théâtre des Champs Elysées, les 22, 25, 27, 29 février 2008
Lille, Opéra : le 11, 13, 15, 17 mars 2008
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