C O N C E R T S
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
GENEVE
29/01/2004

Victor Torres
© DR
Récital Victor Torres
 

Victor Torres, baryton
Fernando Pérez, piano
 

Genève, Grand Théâtre
29 Janvier 2004



Victor Torres est à la voix de baryton ce que Léopold Simoneau est à celle de ténor. Non pas que le baryton argentin soit un mozartien comme l'était le ténor canadien, mais dans sa voix se retrouvent toutes les subtilités qui ont fait la réputation de Simoneau. De la douceur sans que la voix ne soit mielleuse, de la force sans qu'elle soit hurlée, de la nuance sans affectation. A l'Opéra de Lausanne, Victor Torres avait tenu le rôle-titre de Falstaff avant de camper un subtil Michonnet dans Adriana Lecouvreur. En 2002, le Grand-Théâtre de Genève l'avait entendu dans le rôle de Posa (Don Carlos) en version française. Avec ce background d'opéras héroïques, il était intéressant d'entendre le chanteur dans un récital partagé entre mélodies françaises et compositeurs espagnols et argentins.

Entrant sur scène à grandes enjambées, le baryton rejoint l'encoignure du piano où l'attend un lutrin. Fort heureusement, en raison de la hauteur de la scène, l'engin ne gênera pas les spectateurs. Si votre serviteur continue de désapprouver l'usage de lutrin pour les solistes des récitals, il faut reconnaître que la quantité de textes que Victor Torres a présentés pendant son récital justifiait qu'il ait cette légère béquille à ses côtés. En effet, avec plus de trente-deux textes différents, le nombre de mots et de vers pouvait le porter à la faute. Totalement habité par son chant et scrupuleux de la prosodie, constamment dans la prise de risque, le chant sur le fil du rasoir, une erreur, si minime fût-elle, l'aurait certainement déstabilisé au risque de faire capoter l'admirable récital auquel il conviait son auditoire.

Si les poèmes de Paul Verlaine (Mandoline, Clair de lune, En sourdine) n'avaient d'intérêt que l'approche musicale de Gabriel Fauré et de Claude Debussy, les mélodies de Francis Poulenc permettent déjà de se faire une idée de l'artiste. Tiré des Banalités de Guillaume Apollinaire, quand le baryton chante "Je ne veux pas travailler, je veux fumer ", le ton est si juste qu'il donne envie à chacun de s'allumer une cigarette. Continuant de charmer avec des poèmes de Rainer Maria Rilke mis en musique par Samuel Barber, le chanteur conquiert son auditoire par une interprétation sublimée du Tombeau dans un parc. Dans cette lamentation, son phrasé se fait intime, sa voix se coule dans des sons filés aux couleurs changeantes du plus bel effet. Il plane, il entraîne chacun dans sa mélopée avec un son révélant un instrument vocal d'une rare beauté. L'homme de théâtre réapparaît dans Don Quichotte à Dulcinée, le cycle des poèmes de Paul Morand rendus célèbres par Ravel. Victor Tores construit son théâtre autour de ces chants et le corpulent baryton devient par la magie de son interprétation l'efflanqué chevalier à la triste figure.

L'excellence du chant et de la diction du baryton argentin trouve son apothéose dans des mélodies argentines de Carlo Lopez Buchardo (1881-1948). Travaillant la nuance du mot et de la phrase musicale, Victor Torres imprime à ces mélodies des couleurs qui soulignent la subtilité de la langue de Buenos Aires, chargée des ambiances populaires de la ville. C'est une note filée dans Canta tu canto ruiseñor y vuela qui révèle l'incomparable musicalité du chanteur.

Un récital de qualité. Sans emphase, sans effets gratuits, juste pour le plaisir de chanter et d'enchanter. Artisan de cette réussite totale et enthousiasmante, le pianiste Fernando Pèrez s'est fondu dans la délicatesse de son compagnon pour l'accompagner avec une efficace discrétion et une musicalité touchante.
 
 

Jacques SCHMITT
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]