ET LE CIEL LUISAIT D'ÉTOILES
POUSSIÉREUSES
Construit en 1887, le "Neues Deutsches
Teater" visait à réaffirmer la supériorité
de l'Art allemand sur l'artisanat local pragois (les Tchèques avaient
ouvert leur propre théâtre national, le Narodni Divadlo en
1883): il fut entre autres dirigé par Zemlinsky qui fit créer
Erwartung. En 1945, il devint le Velka Opera et Josef Svoboda en fut le
"premier décorateur" à partir de 1951. Cet assez joli théâtre
de 1550, mal restauré sous le protectorat bienveillant des petits
pères des peuples, est aujourd'hui la principale salle d'opéra
de la ville (le magnifique Narodni Divaldlo est une salle plus étendue,
avec un auditorium de même capacité, qui accueille ballets,
pièces de théâtre et opéras... mais chantés
en tchèque).
Josef Svoboda eut son heure de gloire
hors des frontières tchécoslovaques à l'époque
de l'intellectuel communisme triomphant (création d'Intolleranza
de Nono à Venise) et même au delà (Vespri et Otello
à Garnier sous Liebermann, le Ring à Orange).
La production de Tosca, qui date de
1947, constitue donc une pièce de musée, très défraîchie
il faut bien le dire. À condition de dominer cette première
impression poussiéreuse, les lyricomanes les plus endurcis apprécieront
une scénographie originale qui utilise essentiellement des éléments
de toiles peintes sépia inclinées, donnant un véritable
sentiment d'écrasement et d'étouffement. On retrouve d'ailleurs
une partie de ces éléments scénographiques dans des
mises en scènes plus récentes (par exemple, la Tosca d'Auvray
pour Garnier et celle de Bastille: après l'emprunt russe, l'emprunt
tchèque ?).
Pour tout dire, ce genre de références
historiques indiffèrera grandement le spectateur étranger
de base, qui ne verra ici qu'un spectacle de routine à la limite
de l'acceptable (ce qui n'est pas faux non plus!).
Quant au spectateur tchèque...
j'ai du mal à imaginer qu'on puisse assister à la même
production de Tosca, avec de multiples distributions annuelles, ET PENDANT
55 ANNEES CONSÉCUTIVES, sans sombrer dans l'alcoolisme le plus sordide
!
Au point de vue vocal, la distribution
est d'un niveau provincial: il faut dire que les bons chanteurs tchèques
préfèrent des cachets de seconds rôles à l'Opéra
de Vienne; il faut donc se contenter des moins bons.
Eva Depoltova est une Floria Tosca
au physique avantageux, avec de réels moyens mais une technique
imparfaite.
Igor Jan doit être le seul ténor
russe a ne pas avoir trouvé d'emploi en Europe de l'Ouest: medium
engorgé alla Galvez Vallejo mais dopé par de superbes aigus,
ce chanteur a malheureusement chanté trop haut toute la soirée,
à l'exception de 30 secondes de duo, chantées elles un demi-ton
trop bas!
Le Scarpia de Jiri Sulzenko vaut surtout
pour son interprétation: le chant est correct mais gâté
par un timbre complètement "creux".
Les seconds rôles sont assez
médiocres: inutile de s'attarder.
Bohumil Gregor a connu une petite carrière
internationale en dirigeant un peu partout son répertoire national;
à 75 ans passés, il devient directeur musical de l'opéra
ce qui n'est pas une mince affaire avec de tels interprètes; tous
ont les yeux rivés sur lui, et ce n'est pas pour son physique (il
ferait pâlir Boris Karloff) et la quasi totalité des départs
sont donnés. Il suffit qu'il oublie de lever le bras pour une phrase
d'un dialogue (entre Scarpia et le sacristain par exemple), et c'est la
catastrophe !
Dans ces conditions, Bohumil Gregor
a bien du mérite à donner une vision artistique de la partition:
il y arrive partiellement et cette performance est à saluer.
Placido Carrerotti