La
Tosca à Besançon
Monter Tosca, l'oeuvre puccinienne
majeure, dans un théâtre aux moyens économiques certainement
limités mérite l'admiration. La dimension de l'orchestre,
des choeurs, la mise en scène, les décors, les solistes sont
autant d'obstacles à surmonter. L'honnêteté de cette
production (dont la mise en scène intelligente et inventive reste
le point fort) est remarquable et les bisontins mériteraient d'en
être plus fiers qu'ils l'ont démontré à l'issue
(ou durant) ce spectacle.
Premier acte. Quelques marches. Sur
fond de scène mauve, à droite un portrait de femme, à
gauche une statue de la Madone, au centre un panneau de marbre vert. Deuxième
acte, devant un fond noir, une grande table, noire elle aussi, occupe toute
la largeur de la scène. D'un côté, un dîner attend
devant un fauteuil. Troisième acte, sur un fond gris, descendant
des cintres, des éclairages sur les marches découpent les
barreaux d'une prison. C'est tout le décor de cette production de
Tosca.
Un environnement dénudé, dans lequel seule une direction
d'acteurs sans faille donnera sens au drame de Sardou. C'est ce que réussit
admirablement Didier Brunel.
© Opéra de Besançon
Soignant chaque geste, chaque attitude,
chaque regard, il exacerbe le théâtre chez chacun. Ainsi,
profitant de la relative petite taille d'Armand Arapian (Scarpia), il peint
son Scarpia en un misérable petit chef d'évidence pistonné
à ce poste, vicieux, gluant, coléreux à souhait. Par
ailleurs très bon comédien, le baryton français pallie
aux limites de sa voix pour ce rôle par un jeu théâtral
irréprochable. Dans un remarquable second acte, alliant parfaitement
sa théâtralité à ses limites vocales, il fera
de Scarpia un personnage rongé de désir et douloureusement
conscient de sa vilenie. Carlo Guido (Mario Cavaradossi) est théâtralement
plus emprunté que son bourreau, mais son italianité et la
générosité de sa voix voilent son embarras scénique.
Avec la prodigalité de son instrument, le ténor franco-italien
a les moyens d'exacerber l'émotion de son discours. Dommage que
le chef d'orchestre ne lui ait pas offert la liberté de prolonger
parfois une note au-delà de la "ronde pointée", comme le
faisait Franco Corelli, son maître, qui multipliait les effets vocaux
pour souligner un accent, une intention. L'opéra italien passe par
ces démesures de l'âme. "The latin lover" c'est le trouble
d'une phrase musicale, d'un mot, d'un regard. Avec les inévitables
renvois aux grandes Tosca du passé, il faut un certain courage pour
aborder ce rôle mythique. C'est celui qui anime la Suissesse Marion
Ammann (Floria Tosca) même si sa prestation ne marquera pas l'histoire
de l'héroïne de Puccini. Certes toutes les notes sont là,
avec une émission parfois légèrement nasale ou engorgée,
mais ces limitations vocales (Callas même ne jouissait pas de la
plus belle voix puccinienne !) pourraient être acceptables si le
personnage était habité de la jalousie de Tosca, de la diva
qu'est Tosca. Mais chez la soprano helvétique on voit que le geste
est appris du metteur en scène et appliqué avec soin. Mais
aussi réglé est-il, il manque de vérité, d'esprit,
d'authenticité, de spontanéité. Sans dramatisation,
jamais elle n'est "LA Tosca", actrice. Empruntée, retenue, alors
que menacée, elle sait pourtant s'abandonner comme dans le deuxième
acte où, prisonnière de Scarpia, elle s'avère touchante.
Son "Vissi d'arte, vissi d'amore" reste pourtant en deçà
de ce qu'on peut attendre d'une musique aussi porteuse d'émotions
que celle composée par Puccini. A la décharge de la soprano,
à signaler que ses costumes la desservent. On est loin de l'image
de la diva, de l'élégance, de l'extravagance attendue chez
une artiste du gabarit de Tosca. Même le rouge de sa robe de scène
est fade. Et pourquoi l'avoir coiffée de ce chignon sans grâce
? Dans les plus petits rôles, à noter la parfaite interprétation
de Marc Mauillon (Spoletta) s'affirmant non seulement un excellent acteur
mais aussi un chanteur en tous points admirable, particulièrement
au niveau de sa prononciation.
Une potentialisation de la musique,
du théâtre et de la mise en scène est indispensable
à la réussite d'un spectacle d'opéra. Si les deux
derniers éléments sont présents, la musique de l'Orchestre
de Besançon Franche-Comté (dont les violoncelles auraient
mérité d'être sensiblement mieux accordés !)
sous la direction de Jean-Luc Tingaud a paru trop conventionnelle, voire
brouillonne, pour que la musique de Puccini élève l'intrigue
aux sommets.
Jacques SCHMITT