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GENEVE
25/04/06
© Grand Théâtre de Genève
Erich Wolfgang KORNGOLD (1897- 1957)
DIE TOTE STADT
(LA VILLE MORTE)
Opéra en trois tableaux, opus 12
Livret de Paul Schott (pseudonyme de Julius et Erich W. Korngold)
D’après le drame de Georges Rodenbach
Le Mirage tiré de son roman Bruges-la-Morte
Nouvelle production
Mise en scène, Nicolas Brieger
Décors, Hans Dieter Schaal
Costumes, Andrea Schmidt-Futterer
Lumières, Alexander Koppelmann
Mouvements chorégraphiés, Grayson Millwood
Paul, Fabrice Dalis
Marietta, Anna-Katharina Behnke
Frank, Johannes Martin Kränzle
Brigitte, Hanna Schaer
Fritz, Brett Polegato
Victorin, Jörg Schneider
Juliette, Nicola Hollyman
Lucienne, Marianna Vassileva-Chaveeva
Le comte Albert, Adrian Thomson
Gaston, Vincent Serez
Choeur du Grand Théâtre
Direction, Ching-Lien Wu
Maîtrise du Conservatoire Populaire de Musique de Genève
Direction, Serge Ilg
Orchestre de la Suisse Romande
Direction musicale, Armin Jordan
Grand Théâtre de Genève, ce 25 avril 2006
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Ville Morte : le revival
L’évolution de la carrière d’Erich Wolfgang
Korngold comme compositeur de musique de films a peut-être
contribué à discréditer les opéras de cet
ex-enfant prodige dont les premières œuvres avaient
émerveillé Mahler et Richard Strauss. En montant une
nouvelle production de La Ville Morte,
le Grand Théâtre de Genève contribue à
réparer cette injustice, même si la mise en scène
prend avec l’œuvre des libertés qui en
altèrent le sens et n’en facilitent pas
l’appréhension.
Ecrit en commun par le musicien et son père, le livret
s’écarte en effet de la fin tragique conçue par
Georges Rodenbach pour son héros. Dans le roman celui-ci,
divisé entre une fidélité absolue à sa
femme morte et sa dépendance à l’égard
d’une nouvelle partenaire sexuelle choisie en raison de sa
ressemblance avec la disparue, finit par étrangler sa
maîtresse. Les Korngold, tout en respectant ces données,
font du meurtre non un événement réel mais
l’acmé du fantasme un instant caressé par le
héros d’une liaison avec le sosie de la défunte
croisé dans la rue. Si bien que lorsque l’inconnue venue
en visite fait comprendre qu’elle est disponible le héros
ne donne pas suite : il a compris que chercher la morte au travers
de la vivante ne pouvait que conduire à l’échec.
Dès lors il est prêt à quitter La Ville Morte
où il était venu s’ensevelir, prêt à
quitter la mort pour redonner son dû à la vie .
Le metteur en scène, lui, modifie substantiellement
l’atmosphère en changeant de lieu et
d’époque. On n’est plus à Bruges à la
fin du XIX°siècle mais en un lieu indéfini dans les
années 20, au temps du cinéma muet. Le héros vit
dans la maison ultramoderne – style Bauhaus – qu’il
partageait avec sa femme, cantatrice célèbre.
Après la mort de celle-ci, il y a aménagé,
à l’aide d’éléments
d’architecture empruntés aux grands opéras
où elle avait chanté, un musée conçu comme
un théâtre, avec une estrade et un rideau de velours, et
il a rassemblé tous les éléments d’un
culte : ses costumes, des photographies, et des films qu’il
peut se projeter
indéfiniment.
On voit bien l’intelligence de ces choix, les échos
qu’ils permettent, en particulier la justification qu’ils
donnent aux aspects de la partition qui font penser à Puccini,
Wagner ou Richard Strauss, les correspondances qu’ils
éveillent avec la vie du compositeur. On ne peut nier cependant
qu’ils laissent de côté un élément
fondateur, l’influence de la ville choisie par le héros
pour s’y « enterrer », sorte de
conservatoire d’un mode de vie où la religion joue un
rôle dominant, dont le livret porte la trace dans
l’obsession du qu’en-dira-t-on, la crainte
d’être vu et l’exaltation de la pureté de la
morte, évoquée moins comme une femme que comme une sainte.
L’aspect visuel, au-delà de sa séduction –
l’aspect à la fois géométrique et
multidimensionnel de l’espace autour du
« musée » favorise des jeux de miroir et
des visions à la Piranese , et la grande façade
vitrée autorise des images à la Ensor, à la
Chirico – semble avoir rendu difficile, d’après les
conversations surprises à l’entracte, pour bien des
spectateurs la différenciation claire entre les moments
« réels » et les épisodes
imaginés par le héros . La perplexité étant
à son comble lorsqu’à la fin le héros
revêt la robe de soirée que portait sa femme en concert
et, sur la scène du théâtre qu’il a fait
construire, s’incline en souriant devant les personnages de
l’opéra rassemblés au pied de l’estrade et
applaudissant sans bruit.
Mais ces réserves sur une interprétation
« infidèle » n’enlèvent rien
à la rigueur de la conception, à sa cohérence et
à la qualité de la réalisation. Si le spectacle
n’était pas toujours lisible, le parti-pris est conduit
avec force et nulle protestation ne l’a accueilli, pas même
dans l’épisode où la fête entre Marietta et
ses camarades frôle le sacrilège et où
l’imagination du héros la transforme en orgie digne
d’un catalogue de « perversions » sexuelles.
Il est vrai que, sur le plan vocal et musical, les satisfactions ne
manquaient pas. Certes, on pourrait souhaiter un Paul plus
vaillant ; la puissance limitée de la voix du ténor
Fabrice Dalis privait les duos avec sa partenaire, la soprano
Anna-Katharina Behnke, à la projection exemplaire et sans
faiblesse, de l’équilibre idéal. Mais comme elle il
avait investi son personnage et leur composition dramatique respective
était digne d’admiration . C’était du reste
le cas de tous les autres participants, même si les
personnalités d’Hanna Schaer en gouvernante, de Johannes
Martin Kränzle en Frank et de Brett Polegato, délicat
interprète de la Chanson du Pierrot, se distinguent
particulièrement par leur justesse.
Il faut dire qu’Armin Jordan, à la tête de
l’Orchestre de la suisse Romande, a faite des prouesses,
réussissant à obtenir de l’ensemble
particulièrement étoffé prévu par
l’orchestration un équilibre presque constant avec le
plateau, si bien que les exploits d’endurance que
réclament les deux rôles principaux n’ont jamais
cessé d’être de grands moments de musique.
Stridences et velouté, rutilements et fondus, toutes les
richesses d’une partition parsemée d’échos
ont été déployées somptueusement, pour le
plus grand bonheur du public fourni qui en saluant chaleureusement les
chanteurs a néanmoins réservé les plus longues
ovations à l’orchestre et à son chef. Au final, une
vision discutable mais un spectacle réussi et une
redécouverte pleinement justifiée.
Maurice SALLES
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