C'est avec La Traviata de Verdi que
l'Opéra de Nancy a décidé à la fois d'ouvrir
sa saison et de contribuer aux célébrations verdiennes de
l'année! Décision que l'on peut regretter pour deux raisons,
la première étant que choisir le titre le plus populaire
de Verdi n'est pas des plus audacieux pour une scène qui, en d'autres
temps, a eu le courage de monter des ouvrages rarement représentés
en France tels que Attila, I Masnadieri. La seconde raison est que la production
proposée n'est en rien une nouveauté puisqu'elle a déjà
eu les honneurs de la scène nancéienne il y a trois ans!
Néanmoins, en dépit de quelques réserves que l'on
peut formuler vis à vis de certaines options du metteur en scène
Jean Claude Berutti, le public n'a pas boudé son plaisir à
revoir cette vision très esthétique et assez originale.
Ce qui gène essentiellement
dans cette mise en scène, c'est la conception que Berutti a de l'acte
2: La confrontation entre Germont et Violetta tombe totalement à
plat du fait de l'intrusion d'un personnage non prévu dans l'opéra
(ni dans la pièce d'Alexandre Dumas fils, La Dame aux Camélias
d'où le livret est tiré): la soeur d'Alfredo!! En effet,
au moment ou Germont explique à Violetta qu'il a une fille à
marier, on voit débarquer sur scène une gamine de douze ans
qui s'installe dans la pièce, farfouille dans les partitions posées
sur le piano à queue qui trône au milieu du salon de Violetta
pour finir par s'asseoir aux pieds de cette dernière comme pour
la narguer! Tout ceci pourrait être intéressant sur le plan
dramatique si le livret lui-même ne s'y opposait pas. Quelle valeur
accorder alors aux paroles de Violetta "Dite alla giovine" alors que la
jeune fille est à vingt centimètres d'elle ? Du même
coup, la noblesse et la grandeur du sacrifice de Violetta s'en trouvent
fortement réduits. Mais ce n'est pas tout! Le comble du ridicule
et de l'absurde, c'est lorsque Germont revient en compagnie de sa fille
"pura siccome un angelo" morigéner son fils chez Flora! Voilà
un père bien contradictoire: d'un côté il exige que
son fils cesse de fréquenter une demi-mondaine mais de l'autre,
il n'hésite pas à introduire sa propre fille dans un bordel!
Certes la bourgeoisie de l'époque n'en était pas à
une hypocrisie près, mais là tout de même...!
Sur le plan musical en revanche la
réussite est totale: Eva Jenis a offert de Violetta une interprétation
éblouissante et très émouvante: son timbre magnifique
et ample, l'arrogance de sa projection vocale alliée à un
art achevé des nuances en ont fait l'interprète idéale
du rôle même si les tenants de la tradition ont regretté
- à juste titre - l'absence du contre mi bémol à la
fin du Sempre libera. Le ténor turque Soner Bulent Bezduz a sans
aucun doute le physique et l'allure d'Alfredo mais sa voix passait assez
mal au début de l'ouvrage en raison certainement de sa position
quasi permanente au fond de la scène; par la suite, plus en avant
scéniquement, il a pu déployer sa belle voix de ténor
lyrique avec beaucoup plus d'aisance! Quant à Victor Torres, il
a offert du rôle de Germont, dont il dit lui-même qu'il ne
l'intéresse pas du tout, une vision standard tant sur le plan scénique
que sur le plan vocal. Sa voix est belle, ample, chaude mais on ne le sent
pas particulièrement concerné par ce qu'il chante, ça
manque de "tripes"!
Très belle direction de Sébastien
Lang-Lessing qui a su restituer l'exacte pulsation de la musique de Verdi
et une mention spéciale pour le Choeur de l'Opéra de Nancy,
particulièrement bien préparé par Philip White !
Jérôme
Royer