VIOLETTE IMPÉRIALE
On pouvait craindre le pire de cette
série de 13 "Traviata", alternant 2 Violetta, 3 Alfredo et autant
de Germont dans de multiples combinaisons. Principal défaut inhérent
à ce type de reprise, la version archi-traditionnelle retenue :
pas de reprise de "A forsé lui" (classique !), pas de cabalette
"Dei mei bollenti spiriti" (c'est pourtant revenu à la mode), pas
de cabalette pour papa non plus (elle reste rare), pas de second couplet
dans "Addio del passato", pas d'intervention du Docteur et de toute la
smala à la mort de Violetta (personnellement ça ne me gêne
pas trop).
Seule survivante : la petite reprise
rapide à la suite du "Parigi o cara".
La "nouvelle" mise en scène
de Dame Franco Zeffirelli est une reprise "améliorée" de
la production précédente.
Le premier acte nous mène dans
l'éclaté de l'appartement de Violetta (une grande boîte
format cinémascope) : le salon, une pièce sombre, un vestibule
avec un escalier; on distingue une autre pièce dans le fond où
s'amusent les invités. Au niveau décoration, on se croirait
chez un antiquaire. Côté costumes, c'est plutôt Zavatta
: couleurs criardes (genre jupe orange avec de larges rayures marron !)
et coupes à l'avenant.
Au second acte, nous sommes dans l'arrière-boutique
de Laura Ashley pour la première scène. Pour la seconde (chez
Flora), c'est l'apothéose : le rideau (jaune) se lève sur
de gigantesques résilles en dentelles (roses, genre "Chez Michou"),
qui s'écartent pour s'ouvrir sur une espèce de salon impérial
auprès duquel le grand escalier du Palais Garnier fait "pingre"
! Nous avons droits aux inévitables danseurs espagnols (tapant fort
du pied et de la castagnette), des figurants portant des masques de vaches
(comme dans la mise en scène précédente). À
la fin du ballet, confettis et cotillons tombent des cintres comme à
l'Alcazar de Rodez : il ne manque plus que Zeffirelli "herself" sur un
trapèze, habillé en Zizi Jeanmaire avec un pétard
dans le cul : abominable !
Au dernier acte, on retrouve une configuration
identique à celle du premier, le petit escalier débouchant
sur le palier. C'est que nous sommes au second étage de l'appartement
de Violetta ! Quand elle entend Alfredo, elle sort du lit, se précipite
vers l'escalier qu'elle descend, cramponnée à la rampe et
BINGO le décor monte de telle manière que Violetta se retrouve
au premier étage de son appartement (l'effet cinématographique
est ici écrasé par la prouesse technique de la machinerie
du Met). Ce n'est plus "Traviata" mais une attraction chez Disney (ce serait
drôle si l'ascenseur tombait en panne !).
La distribution est dominée
par la Violetta de June Anderson. Certes, les années sont passées
: la voix est moins lumineuse (mais plus homogène sur la tessiture),
le souffle moins puissant (perceptible dans un "Amami Alfredo" sans relief),
mais la technique bel cantiste reste à tout épreuve (un "Sempre
libera" où ut et ré-bémol fusent littéralement).
On regrette l'absence de mi-bémol conclusif (impression sur le coup
: "LA SA-LO-PE !") quand on sait que cette note ne lui pose pas vraiment
de problème (cf. ses récentes "Lucia"). Comme June Anderson
ne fait rien qui ne soit réfléchi, on peut supposer qu'il
s'agit pour elle d'atténuer le contraste entre l'acte I et les suivants
(elle m'avait donné une explication similaire au sujet du "Bel raggio"
de "Semiramide"). Effectivement, son interprétation de la suite
de l'oeuvre évitera tout glissement vériste : le duo avec
Germont fait ainsi irrésistiblement penser au duo Raimondo / Lucia.
Cette "belcantisation" ne se fait pas au détriment de l'interprétation
: la mort de Violetta est pleine d'émotion tout en restant extrêmement
digne. Une Violetta atypique donc, d'autant plus digne d'intérêt
qu'elle est probablement très proche des intentions initiales de
Verdi.
Nous retombons hélas dans la
médiocrité avec l'Alfredo de Franck Lopardo. Malgré
sa voix engorgée et nasillarde, ce chanteur m'avait enthousiasmé
par son style lors des récentes "Lucia" de Bastille : ici, nous
avons à faire à un aboyeur hurlant son "Questa donna conoscete"
comme Canio poignardant Nedda ! Le reste est à l'avenant, tempéré
par quelques pianissimi en voix mixte (les toutes dernières notes
d'un "Bollenti spiriti" hurlé les 3/4 du temps).
Germont est incarné par John
Avey : retenez bien ce nom, vous n'en entendrez plus jamais parler. L'incarnation
est noble et sans grand défaut (mais sans grande qualité
non plus), et le timbre est ingrat : une bonne doublure.
Maurizio Benini dirige avec des tempi
sans doute trop rapides et une battue très violente, mais le résultat
ne manque pas d'efficacité : on attendrait quand même un peu
plus de rubati au dernier acte.
Les choeurs sont une fois de plus exemplaires,
l'orchestre bien meilleur que dans "Arabella" (il ne s'agit pourtant pas
des mêmes instrumentistes que ceux qui venaient de jouer magnifiquement
les "Maîtres" : c'est donc bien la preuve que le résultat
final dépend du chef, Benini y réussissant mieux qu'Eschenbach
!).
Comme toujours, la direction d'acteurs
n'appelle que des éloges (cf. toutes mes critiques de ce week-end
nord-américain !).
Placido Carrerotti