Le Grand Théâtre a fait
salle comble ce soir et on peut se demander si c'est l'opéra célèbre
de Verdi ou la présence de Mireille Delunsch dans le rôle
titre qui a fait se déplacer les Tourangeaux en grand nombre.
Le spectacle est la reprise d'une production
présentée il y a quelques années au Théâtre
du Capitole de Toulouse et à l'Opéra de Montpellier.
La mise en scène de Jean-Claude
Auvray est plutôt traditionnelle mais elle a le mérite d'être
claire, efficace et cohérente avec quelques idées intéressantes
: celle, par exemple, qui consiste à faire apparaître Violetta,
pendant le prélude, devant le rideau de scène. Celle-ci marche
lentement et regarde alors le public qui devient le témoin privilégié
de son angoisse intérieure. A la fin du prélude, elle cherche
à s'opposer à l'ouverture du rideau redoutant son entrée
dans le salle de réception, dans l'espace public... mais le rideau
s'ouvrira.
Le décor de Giorgio Cristini
est unique : une grande salle peu meublée dans les tons gris bleus
qui sera tour à tour les différents salons puis la chambre
de l'acte 3.
Mireille Delunsch a une conception
originale du personnage de Violetta, surtout dans l'acte 1 où l'on
est loin de la jeune fille écervelé, grisée par les
plaisirs. Dans cet acte, l'interprétation est plus en demi-teinte,
l'angoisse déjà perçue durant le prélude est
toujours présente comme si l'héroïne, malgré
son désir de jouir de la vie, pressentait sa mort prochaine.
L'aspect "vocalisant" est moins
marqué, le Gioire ! est clamé avec moins d'hystérie,
la cabalette sempre libera est sujet à moins d'ornementations,
on peut être réservé quant à cette façon
de jouer qui s'éloigne de la tradition, il n'en demeure pas moins
que la prestation de la soprano, tant sur le plan vocal que scénique,
reste convaincante.
A l'acte 2, Mireille Delunsch, à
l'aise vocalement, la tessiture plus centrale du rôle aidant, nous
offre un merveilleux duo avec Giorgio Germont et son amami, Alfredo, désespéré,
est déchirant. A l'acte 3, la voix, au timbre toujours chatoyant,
pleure pendant le addio del passato, un léger tremblement traduisant
l'approche imminente de la mort et c'est mezza vocce qu'elle prononcera
le se una pudica vergine... illustrant ainsi sa douce bienveillance
à l'égard d'Alfredo.
La prestation de son partenaire laisse
perplexe.
Certes, j'ai connu ténor plus
catastrophique (je pense à une Traviata jouée en 1994
dans ce même théâtre avec Sylvie Valayre) mais ce n'est
pas non plus une révélation.
Son physique en ferait davantage le
père de Violetta que son amant, son jeu comparé au naturel
de Mireille Delunsch est maladroit et peu crédible, le timbre sans
être vilain n'est pas vraiment séduisant, les aigus manquent
de rondeur et il semble peiner dans la cabalette O moi rimorso ! O infamia
!... obligeant le chef à réduire le rythme.
Franck Ferrari campe un Giorgio Germont
autoritaire dont la belle voix de baryton (voire de baryton basse) puissante
et sonore remplit dans les moindres recoins la salle du Grand-Théâtre.
L'air Di Provenza il mar.. est par
contre chanté avec un peu trop de cette autorité vocale et
l'on ressent difficilement la tendresse d'un père pour son fils.
Pour ce qui est des rôles secondaires,
on retiendra surtout le timbre chaleureux de la mezzo-soprano Sophie Pondjiclis
et la belle voix de basse de Josep Miquel Ribot.
Jean-Yves Ossonce (l'Alfredo de Mireille
Delunsch dans la vie) est visiblement stimulé par la présence
de sa femme sur le plateau. La direction reste rapide et soutenue mais
l'orchestre sonne un peu fort dans les ensembles. Le chef arrive à
faire monter graduellement la tension dans le tissu orchestral, tension
qui atteindra son paroxysme à l'issu de l'acte 3.
Une superbe soirée récompensée
par de longues acclamations et même une "standing ovation" (du jamais
vu à Tours).
Alain Colloc