Quand Bastille fait
du remplissage...
Déjà interprète
du rôle dans cette même production en 1998, Patricia Racette
incarne toujours une Violetta de seconde catégorie. Vocalement,
certains efforts sont louables : un mi bémol en conclusion
du "Sempre libera", un "Ditte alla giovine" pianissimo. Mais le
problème, c'est justement que tout cela sent... l'effort : le mi
n'a rien de spectaculaire, les pianissimi sont exécutés
d'une voix assez laide, etc. Instabilité, petits problèmes
de justesse, vocalises savonnées... on n'en finirait pas d'énumérer
les problèmes techniques de cette chanteuse.
Cette Violetta en séduira néanmoins
certains pour l'interprétation, car l'engagement de l'artiste est
indéniable : je n'ai pas été personnellement touché
tant cela me paraît "joué", exempt de réelle empathie
pour le personnage, mais Patricia Racette réussit néanmoins
à émouvoir des spectateurs au coeur peut-être moins
endurci que le mien !
Si l'on me permet un euphémisme,
Bastille joue l'homogénéité par rapport à la
distribution de 1998 : Tito Beltran succédant à Ramon Vargas
et Roberto Frontali à Leo Nucci, le niveau s'aligne malheureusement
sur celui de Patricia Racette...
Conspué certains soirs, l'Alfredo
de Tito Beltran est certainement un peu sous-dimensionné pour le
rôle, notamment en terme de volume vocal. Du parterre, les huées
semblent exagérées, mais peut-être était-il
inaudible du balcon (les voix de ténors passent assez mal à
Bastille).
Le démarrage n'est pas fameux,
avec une tendance à chanter un peu en dessous au premier acte :
la voix se libère après la cabalette "O moi rimorso" (habituellement
coupée à Bastille et raccourcie à un couplet), que
le ténor couronne d'un joli contre-ut. Par la suite, le timbre rayonne
davantage, rappelant celui des premiers disques de ce chanteur autrefois
prometteur.
Enfin, l'acteur est sympathique, dans
un rôle assez ingrat. Il sera intéressant de le réentendre
la saison prochaine dans I Capuletti, le rôle de Tebaldo pouvant
lui convenir davantage.
Roberto Frontali chante honnêtement
mais sans génie les belles pages de Germont : il retrouve lui aussi
un couplet de sa cabalette de l'acte II, encore plus rarement donnée
à la scène. Le volume de Bastille ne lui pose pas trop de
problème mais le style est un peu relâché. Quant au
timbre, nasal, j'ai eu un peu de mal à reconnaître la voix
jadis claironnante de ce baryton.
Les seconds rôles et les choeurs
sont irréprochables.
La direction de Nicola Luisotti est
la vraie surprise de cette soirée : cet ancien chanteur nous offre
en effet une lecture véritablement théâtrale de la
partition. Rubati, points d'orgue... on est à l'opposé du
suivi "à la lettre" de la partition telle que le pratique un Riccardo
Muti. Des détails d'orchestration s'imposent, qui ne m'avaient jamais
frappés jusque là. Tout n'est pas réussi (d'autant
que l'orchestre est parfois un peu négligent), mais cette lecture,
par son renouvellement, est un authentique plaisir. Bref : un chef à
suivre dans ce répertoire.
La mise en scène fort médiocre
de Jonathan Miller a déjà été chroniquée
; je me contenterai de la rappeler dans les grandes lignes : Violetta habite
dans un grand magasin dont le seul mobilier consiste en un escalier de
50 mètres de développé ; à l'acte II, elle
l'emmène à la campagne et, pour ne pas se le faire voler,
elle le camoufle sous une toile peinte bucolique antivol, aimable contrepoint
de sa demeure campagnarde, qui évoque quant à elle la maison
de Psychose. Chez Flora, la soirée finit en drame car celle-ci
a fait l'acquisition d'un escalier en tous points identique ! Malade de
rage, Violetta et son escalier finissent la nuit dans un hôpital
aux murs pisseux. Alfredo lui en promet un autre mais c'est trop tard:
la rouille a frappé.
Comme on le voit, une production à
ne pas manquer, surtout si vous aimez les escaliers.
Placido Carrerotti