Cette
Traviata sort des sentiers battus. Sobre, sombre, la vision d'Olivier
Tambosi et de Daniel Dollé concentre l'action sur Violetta qui ne
quitte que très peu le plateau. Dès le Prélude, elle
est à l'avant-scène, brisée par la douleur, et nous
la retrouvons telle quelle au début du 3e acte, comme si les événements
s'étant déroulés entre temps n'étaient qu'une
"parenthèse".
L'esthétique du spectacle est
des plus curieuses. Le décor du premier acte est noir comme l'intérieur
d'un cercueil ou d'une tombe et offre un espace étriqué dont
les murs du fond tournent, telle la porte d'un grand hôtel, durant
une bonne partie de l'acte. Si ce système permet une circulation
des personnages ingénieuse, il devient rapidement lassant. La maison
de campagne du deuxième acte frise le kitsch (petite maison en bois
entourée d'un gazon fleuri clôturé de barrières),
le salon de Flora transformé en maison close de luxe est bien glauque,
l'esprit de fête y est totalement absent (tout y est d'un statisme
assez désolant), tandis que le dernier acte se passe à l'extrême
avant scène fermée par un immense miroir qui reflète
la salle, à moitié éclairée pour l'occasion,
ce qui évoque bien peu la solitude de Violetta délaissée
et miséreuse... Si on ajoute à cela des costumes indigents
et bien peu seyants (Germont en imperméable et toujours flanqué
d'une grotesque sacoche à l'épaule, Alfredo en tenue de ville,
les choristes - femmes comprises - tous habillés du même costume
noir avec noeud papillon), des attitudes scéniques singulières
(Alfredo regardant sa montre ou apportant lui même à la fin
du premier acte les barrières du jardin du tableau suivant, Anina
passant son troisième acte rampante au sol tandis que Violetta est
continuellement debout - laquelle est malade ?...-), on sort du spectacle
avec un certain agacement. Il en est de même avec la direction d'orchestre
de Marcello Bufalini qui, séduisante par moments (un début
de Prélude magique par son côté irréel et évanescent),
manque particulièrement d'entrain (brindisi bien terne) du fait
notamment de tempos très lents et de rallentendos par toujours de
bon goût (notamment une toute fin basculant dans le grand guignol).
(La Traviata - "Brindisi"
© Alain Kaiser)
L'équipe de chanteurs est jeune.
Tatjana Lisnic chantait là sa première Traviata. Si la voix
est agréable, le chant propre (mais sans mi bémol hélas),
l'incarnation travaillée, elle n'offre pas une Violetta inoubliable.
Le temps lui apportera une expérience et une émotion qui
lui font un peu défaut ici. Joseph Calleja en Alfredo affiche une
voix séduisante mais entachée d'un vibrato rapide
assez désagréable. La chant est souple et élégant
(mais le contre-ut, fragile, chanté en coulisse à la fin
du premier acte, n'est pas retenté à la fin de la cabalette
du deuxième...). C'est Giovanni Meoni en Germont qui convainc le
plus du fait de la beauté de la voix, la grande finesse du chant
et une incarnation sobre et froide convenant bien au personnage. Si les
choeurs sont brillants, les seconds rôles n'affichent pas toujours
des voix très sûres, sauf le médecin de René
Schirrer, parfait.
Pierre-Emmanuel Lephay
Autres représentations : à
Strasbourg, 17, 19, 21 et 24 juin à 20 h., à Mulhouse, 2
et 4 juillet à 20 h., 6 juillet à 17 h.
A l'occasion de la fête de la
musique, le 21 Juin, retransmission sur écran géant
place Broglie à Strasbourg.
Renseignements : Strasbourg - 03 88
75 48 23 ; Mulhouse - 03 89 36 28 28 www.opera-national-du-rhin.com